Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Où s’irisent les clairs saphirs du Labrador,
Je veux emprisonner vos grâces enfantines.

Vases myrrhins ! trépieds de Cumes ou d’Endor !
Maître-autel qu’ont fleuri les roses de matines !
Coupe lustrale des ivresses libertines !
Vos yeux sont un ciel calme où le désir s’endort.

Des lis ! Des lis ! Des lis ! Ô pâleurs inhumaines !
Lin des étoles ! cœur des froids catéchumènes !
Inviolable hostie offerte à nos espoirs !
Mon amour devant toi se prosterne et t’admire,
Et s’exhale avec la vapeur des encensoirs,
Dans un parfum de nard, de cinname et de myrrhe ![1]


Qui s’étonnera que ne soit le prêtre de ce maître-autel-là qui célèbre, fraternels, les éphèbes antiques


Et Narcisse au grand cœur qui mourut de s’aimer ?


C’est surtout par les couleurs de son inspiration, par ce lyrisme mystique et sensuei qui, à ce degré, n’est que de ce siècle, que Laurent Tailhade nous appartient. Sa forme, lyrique essentiellement, je l’aime pour le respect gardé du Vers vivant dans son rhythme authentique, instant d’exaltation, flèche d’or, comme disait Glatigny. Pourtant, jamais interrompu, cet éternel vers lyrique fait un livre entier d’une lecture longue et qui fatalement sera morcelée autrement que n’ordonnerait l’unité de l’œuvre, parcequ’il y supprime, mille états, de repos ou d’attente, de transition, par quoi, s’ils étaient dits, l’exaltation

s’imposerait sans cette fatigue, et la flèche d’or atteindrait

  1. Laurent
    Tailhade : Sur champ d’or.