Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/379

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ciers, par bonheur pour leur gloire et pour notre jouissance, ont si miraculeusement exprimé.

Il est impossible de rien dire de neuf dans une langue neuve : elle est ou elle serait toute barbare, inapte aux flexions, aux modulations… En vieillissant, les langues acquièrent, avec cette phosphorescence de la matière qui se décompose, cette ductilité subtile qui permet de mieux induire l’idée dans les intelligences moins brutalement ouvertes. — C’est pourquoi les néologismes formels, loin d’enrichir une langue (sauf en des cas infiniment rares), l’appauvrissent, et toujours le bon écrivain évitera ces inutiles violences. Il sait que la langue artistique consiste en un très petit nombre de beaux vocables, mais qui sont d’une richesse inépuisable, grâce aux rappels et aux harmoniques échanges des syllabes. Il sait qu’en dehors du sens des mots l’assonance et l’allitération créent des phrases musicales d’une nouveauté merveilleuse, d’une suggestion que rien ne limite, — ressource autrement précieuse que l’invention d’une combinaison précise et invariable et grammaticale de sons significatifs, — miraculeuse ressource qui permet à la forme artistique d’être le symbole elle-même du symbole où s’accomplit en beauté le fait métaphysique. L’écrivain sait aussi qu’à l’intérieur même des mots, dans leur sens, se produit une sorte d’intime néologisme par les alliances de mots, par les passages du propre au figuré, par les retours aux origines. Ainsi le mot tourne sous nos doigts spirituels comme une figure géométrique pourvue d’angles et de facettes et qui, selon l’angle choisi, ne montre que telles facettes, renouvelées de laisser les autres dans l’ombre. — Pour moi, j’aime les mots vieillis à l’excès, ceux qui sont comme des médailles sans relief, indistinctes et frustes. Ils se sont rapprochés des éléments constitutifs de la langue et la beauté élémentaire de leurs syllabes se prête mieux — n’arrêtant point sur tel détail le regard — aux arrangements de la grande phrase musicale dont je parlais, cette phrase parallèle à la nombreuse période latine et française qui va se déroulant dans l’ordre et le faste et recueille en route, comme des affluents qui le colorent, les suggestives incidentes. — Mais et bien entendu cette langue lon-