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LE VAMPIRE

La ressuscitée ouvrit les yeux lentement, et son regard flotta indécis sur ce qui l’entourait.

Aucune surprise ne se lisait sur sa physionomie.

Flack ne la perdait pas de vue… Il examinait avec attention la lueur étrange qui brillait dans son regard.

— Elle a recouvré la vie, murmura-t-il, mais la raison est perdue à jamais.

Mme de Cénac tourna la tête vers Jean-Baptiste Flack.

Celui-ci ne faisait pas un mouvement.

Il fixait toujours la pauvre folle.

Folle, en effet, et atteinte de la plus affreuse des hallucinations !

Elle ne se souvenait de rien. L’oubli de son passé était écrit sur son visage calme qui respirait la plus entière quiétude.

Lorsque le curé de Saint-Roch s’était jeté sur elle et lui avait asséné des coups de chenet, elle était déjà frappée d’insensibilité.

En marchant sur la main froide de la pauvre Pitchounette, en apercevant ce cadavre sous le lit du prêtre, elle avait été envahie d’une terreur si soudaine, si foudroyante, qu’elle avait été, pour ainsi dire, pétrifiée sur place.

Dans cet état, les coups qu’elle avait reçus ne pouvaient point la tuer. On sait qu’autrefois les convulsionnaires, dans leurs crises, subissaient impunément les chocs les plus violents, les supplices les plus raffinés.

On nous demandera si ce que nous retraçons n’est point une fiction ?

Nous appuierons sur ce point indiscutable que : tout ce qui est rapporté dans cet ouvrage est moralement et physiologiquement possible.

Notre droit de romancier est de choisir, dans le domaine de la réalité et en nous inspirant de précédents, les situations les plus passionnantes qui se peuvent imaginer.

Il n’est personne ayant acquis l’expérience de la vie qui ne puisse se flatter d’avoir vu de ses propres yeux des choses infiniment plus surprenantes et plus incroyables que celles qui sont relatées dans les romans les mieux combinés.

Ceci posé, revenons à la scène qui nous occupe.

La baronne de Cénac fixait depuis un moment le domestique du Docteur-Noir.

Son regard vague et flottant n’indiquait aucun travail intellectuel.

Jean-Baptiste Flack, immobile devant la cheminée, considérait avec une douloureuse attention la femme qu’il venait de ressusciter.

Il lui sembla que ses yeux s’éclairaient d’une flamme, d’un feu sombre… ses joues s’empourprèrent peu à peu.

Enfin, d’un mouvement caressant et suppliant, elle lui tendit les bras.

— Viens, murmura-t-elle.