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LE VAMPIRE

— Cette voix, ce regard, tout cela me rappelle le monstre en rut que j’ai entrevu cette nuit… C’est Caudirol, ou je rêve.

Et le domestique suivit l’inconnu en monologuant :

— Le défroqué n’avait pas de moustaches et n’était pas vêtu ainsi… Mais on peut se travestir… Oh ! c’est lui.

C’était bien Caudirol. La veille il avait quitté la Sauvage, sa maîtresse qui ne devait point prendre part à l’expédition.

En se quittant, ils s’étaient donné rendez-vous pour le lendemain matin à l’église de la Trinité.

Flack ne s’était donc pas trompé.

Caudirol fit le tour du square, gravit l’escalier et pénétra dans le monument.

Il ne s’aperçut point qu’on le suivait.

Sans affectation, il se découvrit et trempa ses doigts dans le bénitier.

Il fit le signe de la croix, avec une piété parfaite, et sembla balbutier une prière.

Puis il se dirigea vers le côté droit du temple.

— Oh ! le jésuite, pensait Jean-Baptiste Flack.

Caudirol marchait lentement. Un sourire vague errait sur ses lèvres…

Il s’arrêta à côté d’une jeune dame voilée.

— Me voici, dit-il à voix basse.

— Oh ! cher, je t’attendais avec une impatience !

Et la Sauvage releva sa voilette. Son visage reflétait le bonheur le plus grand.

— L’église est déserte, fit Caudirol, nous pouvons causer… Notre expédition a réussi. Nous avons récolté quelques bijoux…

— Il n’y a pas eu de sang ?

— Pas trop. J’ai réglé le compte de La Guiche, un lâche, et j’ai envoyé au diable un gêneur : voilà le résultat de ma nuit.

— Tu n’as peur de rien ! fit la Sauvage avec admiration. Que vas-tu faire, maintenant ?

Caudirol releva la tête.

— Je vais reprendre, pour mon compte, l’expédition manquée par Général.

— Ah ! les fameux millions dont Sacrais nous a parlé. J’ai peur que cela ne tourne pas bien.

— Du moment que j’entreprends quelque chose, le succès est au bout.

Et Caudirol se leva après avoir fait un nouveau signe de croix.

La Sauvage imita cet exemple sans mot dire. Sa nature violente était domptée ; elle n’avait rien à répliquer devant la volonté formelle de son amant.