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LE VAMPIRE

neuf. Les maisons qui le composent, formées de plâtras et de détritus de toute sorte, ont toujours eu le même caractère de vétusté et de tristesse.

En quittant la rue Berthollet pour pénétrer dans celle des Lyonnais, on éprouve, à l’entrée surtout, une sensation de malaise indéfinissable, produite par la brusque transition de la température.

Le changement d’aspect est aussi étrange qu’inattendu.

À quelques pas de là, on se trouvait en face de l’architecture parisienne vers la fin du XIXe siècle, avec ses belles maisons en pierre de taille, hautes de six ou sept étages, ses magasins, ses boutiques, ses rangées de balcons et ses portes cochères ornementées. On coudoyait des promeneurs, ou des ouvriers vaquant à leurs occupations, mais portant des visages honnêtes et débarbouillés. Les trottoirs bien alignés et soigneusement bitumés étaient secs, et les voitures traversaient rapidement la chaussée, toujours entretenue et arrosée. Il y avait de l’air, du soleil, de la vie. Le soir, le gaz flambait gaiement dans les lanternes…

Maintenant, après avoir tourné le coin d’une construction à laquelle les couvreurs, les menuisiers, les serruriers et les peintres mettent la dernière main, on se trouve tout à coup plongé dans un bouge repoussant et lugubre, dernier mot du laid, apogée de la hideur.

Là, rien d’original ni de pittoresque : de la malpropreté sur les gens, de l’humidité gluante à l’extérieur des taudis ; et, si le regard vient à percer au dedans, il découvre une échappée d’immondices ; partout de la crasse et de l’ordure.

Les masures crevées, affaissées sur elles mêmes et penchées en arrière, paraissent atteintes d’obésité ; elles menacent de s’éventrer à leur base sous le poids de deux ou trois étages qu’elles ne peuvent supporter ; les murs supérieurs tout lézardés sont recouverts d’une teinte noirâtre de suie graisseuse.

Des fenêtres brutalement découpées à intervalles irréguliers servent à sécher du linge ; quelques-unes sont ornés de fleurs grêles et mourantes.

Rien qui égaye la pensée : on respire la démoralisation ambiante ; on subit malgré soi la contagion de l’ennui et du découragement.

À plusieurs mansardes, et suspendus à des ficelles, on voit pendre des haillons, drapeaux de la misère.

Les boutiques, trous puants et obscurs, sont garnies de vitres sales, brisées ou consolidées avec des bandes de papier ; derrière sont posés des rideaux déchiquetés et enfumés.

En marchant, le pied trébuche sur un sol mal pavé ou s’enfonce dans des flaques d’eau bourbeuse et croupissante. On se glisse, écœuré d’un semblable tableau, à travers une population morne qui ne secoue sa paresse vicieuse qu’à la nuit tombée.

Dans ce cloaque, pas de jour. Une clarté douteuse et livide, en harmonie