Elle revoyait, dans sa rêverie lente de souvenirs, les incidents de cette foire de Saint-Clou. Jamais elle n’aurait cru qu’on pouvait souffrir à ce point.
Pourtant elle avait comme une appréhension en s’y rendant, un pressentiment secret qui lui disait de retourner.
Longs meuglements d’angoisse des bêtes attachées, bêlement monotone des brebis séparées de leurs agneaux, détonations sèches des tirs forains, sifflet aigu des manèges, toute cette agitation mettait au cœur de la pauvre fille une nausée tournoyante. Les toiles des baraques claquaient au vent clair ; des bohémiens passaient, maigres sous leurs cheveux d’un noir luisant et gras : ils conduisaient par des brides de corde des haridelles étiques, véritables squelettes de chevaux, aux côtes en cerceau, à la peau galeuse et rongée de plaies, nourris seulement de l’herbe rase qui garnit les talus des grandes routes.
Marthe n’était pas arrivée, qu’elle apercevait Pierre et la Renaude dans la foule des promeneurs.
Elle se redressait, cette Renaude, avec un air d’assurance, un désir d’être vue par tout le monde dans la compagnie de ce beau garçon ! Ça la changeait de ses amoureux de rencontre. D’ailleurs elle avait encore plus mauvaise façon qu’à l’ordinaire : son corsage était trop rouge, les carreaux de sa jupe trop voyants.
Un peu plus loin, ils étaient encore devant le montreur de ludions. Pareil à un roi mage, coiffé d’un diadème de clinquant, sa barbe blanche largement étalée sur une simarre rouge constellée d’étoiles, le vieux leur montrait d’un doigt fatidique les diables de verre bleu qui, montant du fond du bocal, venaient