Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/46

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les grands peupliers qui gémissaient dans le noir. Et des trombes furieuses déversèrent des torrents qui clapotaient, cinglaient avec un bruit mou l’argile des labours.

On entrevoyait vaguement le village à travers un rideau de pluie. Les toits de tuile, dont la charpente s’était effondrée par endroits sous la pesée du temps, se serraient autour du clocher, comme un troupeau surpris par la tourmente. Fouettées par l’averse, les maisons se rapetissaient, s’écrasaient au ras du sol. Et la rafale redoublait, chassait sur le faîte des toits une poussière d’eau qui courait dans le vent, comme une fumée.

Pierre se remit lentement en marche. Jamais il n’avait été triste comme ce soir-là. La désolation du soir, l’angoisse du jour finissant retombant sur son cœur, il lui semblait que ce flot de boue allait l’engloutir au fond du crépuscule. Des pensées mauvaises, des regrets de vie avortée, des rancœurs de toutes sortes fondaient sur lui et le happaient au passage, comme des bêtes embusquées.

Il marchait machinalement vers le logis, ramené vers le gîte et la soupe chaude par l’instinct qui guide l’animal lassé vers l’écurie. Il songeait avec mélancolie qu’il faudrait recommencer le lendemain.

Il traversa le chemin qui longe les jardins, au bord des chènevières.

À cet endroit, les « bougeries », les hangars où l’on enferme le raisin, où l’on distille l’eau-de-vie, forment auprès des maisons des abris secs, simplement séparés des champs par une clôture d’osier ou des palissades vermoulues. Souvent les vagabonds, les camps volants