Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

faisait une blessure saignante, que le froid tenaillait.

Midi sonnant à des cloches lointaines, le père proposa de casser une croûte à l’auberge des mariniers, au lieu de s’installer sous le vieux pont, dans les courants d’air, comme ils faisaient d’habitude.

L’auberge était posée au bord de la route, où passaient des attelages de rouliers et des chariots. C’était une vieille baraque de planches goudronnées ; une feuille de tôle gondolée formait le toit. Les mariniers s’y donnaient rendez-vous et aussi les charpentiers, travaillant dans les chantiers voisins, où l’on construisait les chalands dont le glissement tranquille anime la rivière. Dans les larges bassins, fermés par une clôture de planches, les bateaux attendaient le moment où ils s’en iraient, le long des chemins de halage, au frémissement des sonnailles suspendues au cou des chevaux. Les uns, presque achevés, étaient enduits de goudron, d’autres à peine en train montraient leur quille longue, le squelette de leur membrure. Le marteau des calfats sonnait sur les coques, des fumées bleues montaient des marmites où l’on chauffait le goudron, le vent qui passait charriait des odeurs de poix et de résine.

Dans l’auberge il faisait une chaleur lourde. Une buée d’eau ruisselait le long des vitres, et dans l’air plein de fumée, des silhouettes d’ouvriers attablés apparaissaient, massives et trapues.

Les hommes s’installèrent devant une assiette de soupe fumante. Puis ils tirèrent de leur bissac les provisions. Leurs membres raidis se dénouaient dans la bonne chaleur. Une torpeur les envahissait, les tenait somnolents au bord de la table.