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l’oreille, dans une hâte de partir, d’aller respirer la bonne odeur des bois. « La maison sentait diablement le renfermé. » Et selon les saisons, il prenait une faux pour couper l’herbe haute des tranchées, ou bien une serpe emmanchée d’un « bracot » de noisetier, pour émonder les branches folles. Ancien troupier, ayant gardé du service la raideur du soldat se tenant sous les armes, il avait des gestes compassés, comme s’il eût défilé la parade. D’ailleurs c’était encore un uniforme, cette blouse bleue où brillait la plaque de cuivre. Et il portait sa carabine en bandoulière, par-dessus la gibecière qui lui battait les reins de son filet de résille blanche.

Il montait vers la forêt, très raide et très droit malgré ses soixante ans, montrant au-dessus des buissons sa bonne face rougeaude, encadrée d’une barbe broussailleuse.

Passant toute sa vie dans la forêt, il l’aimait, comme un vigneron aime sa vigne, d’une passion âpre, muette, concentrée. On eût dit que les bois lui appartenaient. Sans pitié vis-à-vis des vieilles qui vont ramasser du bois mort, il leur faisait délier leur fagot sur le bord de la route, confisquait les serpettes, quand une ramure verte s’était glissée parmi les brindilles. Et il était la terreur des braconniers, qui le voyaient débusquer des taillis, au moment où ils glissaient dans leur poitrine le lièvre, qu’ils avaient pris au lacet.

On ne lui connaissait qu’un seul défaut : il aimait s’installer à l’auberge devant un verre d’eau-de-vie, qu’il lampait silencieusement, à petits coups. Jamais ivre par exemple ; s’il buvait la goutte, elle ne lui descendait jamais dans les jambes, au point de le faire trébucher.