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assiettes à fleurs, venant de l’ancien temps, étaient rangées sur le manteau de la cheminée ; dans un coin d’ombre, un petit berceau d’osier portait sur une flèche de bois une vieille toile de Jouy, parcourue d’un vol d’oiseaux bizarres.

Dorothée restait là toute seule avec sa petite-fille Anna, dont le père et la mère étaient morts à quelques mois seulement d’intervalle ; une maladie de poitrine que le père avait prise, en travaillant dans les carrières, à respirer tout le jour l’âcre poussière des chantiers où l’on travaille la pierre.

La misère s’était abattue sur la grand’mère et sur l’enfant. Elles vivaient de rien, d’un morceau de pain bis, d’un sou de lait.

Tout le jour Dorothée filait le chanvre des paysans, assise à son rouet, dont le ronronnement emplissait la pièce. Et la petite Anna ne se lassait pas de regarder la mécanique bruissante, la bobine surtout garnie de crochets de fer, qui tournait dans une vibration d’air lumineux et chantant, comme un gros hanneton qui aurait battu des ailes.

La vieille tricotait aussi des bas de laine, s’arrêtant pour passer son aiguille dans ses cheveux décolorés, pareils au chanvre des laboureurs. Sa bouche édentée retrouvait un sourire, quand la petite fille allait et venait autour d’elle, animée de joies vagues et enfantines, riant aux choses mystérieuses que nos yeux n’aperçoivent pas. Alors elle posait son ouvrage sur ses genoux et regardait l’enfant, par-dessus ses lunettes.

À mesure que l’enfant grandissait, de lointaines ressemblances, s’ébauchant sur son visage, émouvaient doucement l’aïeule. N’était-ce pas le regard de sa fille