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chefs nominaux ou titulaires, appelés par les Annamites Hoa-Sa et Thouï-Sa, le roi du feu et le roi de l’eau.

Les souverains du Cambodge, comme ceux de Cochinchine, envoient tous les quatre ou cinq ans au premier un léger tribut, hommage de respect sans doute plutôt que dédommagement pour l’ancienne puissance dont leurs ancêtres l’auraient dépouillé. Le roi du feu, qui paraît être le plus important de ces deux chefs, est appelé Eni ou grand-père par les sauvages ; le village qu’il habite porte le même nom.

Quand ce grand-père meurt, on en nomme un autre, soit un de ses enfants, soit même quelque autre personnage étranger à la famille, car la dignité n’est pas nécessairement héréditaire ; l’élu ne s’appelle plus que Eni, et tout le monde le révère.

Ce personnage doit sa puissance extraordinaire, dit M. Fontaine, à une relique nommée Beurdao, vieux sabre rouillé qui est enveloppé d’un rouleau de chiffons ; il n’a pas d’autre fourreau. Ce sabre, au dire des sauvages, provient de siècles fort éloignés et renferme un Giang (esprit, génie) puissant et renommé, qui du reste doit avoir de très-bonnes facultés digestives pour consommer tous les porcs, toutes les poules et autres offrandes qu’on lui apporte de fort loin.

Ce sabre est gardé dans une maison particulière, où personne ne peut aller le voir sans mourir subitement, à l’exception d’Eni, qui seul a le privilège de le regarder et de le loucher sans qu’aucun mal lui arrive. Chaque habitant du village, à tour de rôle,