Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/306

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paraison du malheur que je viens d’apprendre : le bateau à vapeur sur lequel la maison Gray, Hamilton et Cie, de Singapour, avait chargé toutes mes dernières caisses de collections, vient de sombrer à l’entrée de ce port. Voilà donc mes pauvres insectes qui me coûtent tant de peines, de soins, et tant de mois de travail à jamais perdus !… Que de choses rares et précieuses je ne pourrai sans doute pas remplacer, hélas !

Il y a deux ans, à la même époque, au début de mes pérégrinations dans ce pays, je me trouvais à peu près à l’endroit où je suis aujourd’hui, sur le Ménam, à quelques lieues au nord de Bangkok. Les dernières boutiques flottantes des environs, avec leur population presque exclusivement chinoise, commencent à devenir plus rares et même disparaissent ; la vue des rives basses du fleuve est un peu monotone, quoique de distance en distance, à travers le feuillage des bananiers et des broussailles surmontées des palmes de l’aréquier ou des cocotiers, apparaissent les toits de quelques cabanes, ou, dans des emplacements toujours heureusement choisis, les murs blancs d’une pagode, entourée des modestes habitations des bonzes.

C’est l’époque des fêtes ; le fleuve est sillonné de magnifiques et immenses pirogues chargées et décorées avec ce luxe d’hommes, de dorures, de sculptures et de couleurs que l’Orient seul sait déployer, et qui s’entre-croisent avec les lourds bateaux des marchands de riz, des cultivateurs et des pauvres femmes qui vont brocanter quelques noix d’arec ou des bananes. Ce n’est guère qu’à cette époque et