Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/365

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J’en dirais autant, si j’étais comme lui parti avec beaucoup d’illusions ; mais j’avais une idée de la forêt du Roi-du-Feu, quej’avais déjà traversée sur une foule de points, comme à Phrâbat, à Khao-Khoc, et à Kenne-Khoé, et sous les ombrages délétères de laquelle j’avais déjà passé plus d’une nuit. Quant à des cités, je ne m’attendais point non plus à en trouver au milieu de ces bois, presque impénétrables, et où l’œil même ne peut plonger à plus de quelques pas devant soi. Dernièrement encore, je viens d’y passer dix nuits successives. Durant la traversée de cette immense et épaisse forêt, tout ce qu’il y avait de Chinois dans la caravane, heureux à chaque halte de se trouver encore au nombre des vivants, s’empressaient de tirer de leurs paniers une abondance de provisions capable de satisfaire l’appétit le plus exigeant ; ils choisissaient, à défaut d’autel, quelque gros arbre ; ils disposaient leurs plats, allumaient des bougies, et brûlaient force papier doré, en marmottant des prières à genoux. À l’entrée et à la sortie de la grande forêt, ils jetaient des feuilles et déposaient des bâtons parfumés dans des espèces de chapelles élevées sur quatre pieux de bambous ; ces étranges offrandes devant, selon eux, conjurer les démons et écarter la mort.

Quant aux Laotiens, quoique superstitieux, je les trouvai très aguerris, surtout ceux qui ont fait huit ou dix fois ce voyage par an. Ils n’ont même pas peur d’éveiller le roi du Feu en tirant sur les voleurs et le gibier qui se présentent. La mort cependant recrute journellement, et même dans la bonne saison, un ou deux individus sur dix nouveaux venus qui