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de fer, tenant le milieu entre une baïonnette et un long poignard, tandis que la lance du chef était une sorte d’espadon, longue, effilée, forte et souple, mais ne brisant pas, ce qui fait la qualité de cette arme dangereuse.

Ainsi armés, nous nous mîmes en route dans le plus épais de la forêt, dont notre chef connaissait tous les détours et tous les gîtes à gibier. Après y avoir pénétré à peu près de deux milles, tout à coup nous entendîmes le craquement des branches et le froissement des feuilles sèches. Le chef prit les devants, nous faisant signe de la main, sans se retourner, de ralentir notre pas et de nous tenir armés et prêts.

Bientôt un cri perçant se fit entendre : c’était le signal de notre chef, pour nous prévenir que l’animal n’était pas éloigné ; puis il se mit à frapper l’un contre l’autre deux tuyaux de bambou, et tous ses compatriotes poussèrent des cris sauvages pour forcer le rhinocéros à quitter sa retraite. Peu d’instants après, l’animal, furieux d’être dérangé dans sa solitude, venait droit à nous ; c’était un mâle de la plus grande taille. Sans la moindre crainte, au contraire avec tous les signes de la plus grande joie, comme s’il était assuré de sa victoire, l’intrépide chasseur s’avança au-devant du monstre, et, la lance croisée, l’attendit à une certaine distance et comme le défiant. L’animal avançait toujours, baissant et relevant alternativement son énorme tête, la gueule grande ouverte. Arrivé à la portée de l’homme, celui-ci lui enfonça sa lance dans l’intérieur du gosier à une profondeur de plus d’un mètre et demi, et aussi tranquillement que s’il eût chargé une pièce d’artillerie.