Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/69

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nous mîmes cinq jours pour faire soixante-dix milles à peu près. La nuit, nous avions terriblement à souffrir des moustiques, et même pendant le jour je faisais une chasse incessante à coups d’éventail à ces terribles petits vampires. Comme la campagne était entièrement inondée, nous ne pouvions mettre pied à terre nulle part ; et quand près des habitations même je tuais un oiseau, il était très-souvent perdu pour moi. C’était là un vrai supplice, de Tantale, car les bords du fleuve sont si riants et si gais ! la nature si belle et si riche !

Dans cette saison de l’année, les pluies cessent entièrement et pour plusieurs mois ; depuis quelques jours la mousson du nord-est commençait à souffler ; le temps était constamment beau et la chaleur tempérée par la brise. Les eaux allaient également se retirant. C’était l’époque des fêtes religieuses des Siamois, et la rivière, était presque sans cesse sillonnée par une foule de longues et belles barques, chargées de banderoles, et conduisant en pèlerinage des dévots des deux sexes dans leurs costumes d’apparat. Beaucoup de ces barques, armées de plus de cinquante rameurs couverts de vêtements neufs et éclatants, luttant de vitesse et s’excitant par de longues clameurs et des cris perçants, voguaient au son d’instruments dont l’harmonie, amortie par celle de l’onde, ne manquait point de charme. Des lignes interminables d’embarcations escortaient un mandarin dont la barque, ou, suivant l’appellation locale, le ballon, éclatant de dorure et couvert de sculptures, brillait dans la flottille comme un cygne au milieu d’une troupe de canards. Ce magistrat allait