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Pas d’hommes et peu de jeunes gens.

Il est entendu que j’exagère ; mais il est tout de même vrai que ces cours méritent une plus nombreuse assistance et valent que tous s’y intéressent.

On dirait que nous n’avons plus rien à apprendre, nous autres les Canadiens-Français. C’est peut-être vrai ; mais, alors, qu’on me montre les chefs-d’œuvre, sortis de notre superbe savoir.

Je pense que nous vaudrions beaucoup plus si nous comprenions un peu mieux notre devoir — ce que je crois notre devoir, du moins, et ce que j’ai peut-être négligé, moi-même, — et si nous nous intéressions davantage aux choses de l’esprit et à l’étude de notre langue et de la littérature française.

Je dis cela parce que je constate mon ignorance et le besoin d’étude que j’ai encore, et parce que je ne suis pas malheureusement le seul qui puisse faire semblable constatation.

En voilà bien long sur la littérature, quand il s’agit de dire que j’ai hâte de revoir Saint-Germain et que je vous aime tous, bien gros.

Présente mes respects à papa.

Embrasse maman pour moi.

Dis à Jeanne que je lui emporterai une poupée en fer-blanc, au jour de l’An, pour qu’elle ne puisse ni lui ôter tout le son de dans le corps, ni l’écarteler comme ses autres malheureuses filles.

Je t’écrirais bien plus longuement, mais tu sais qu’on a dit, que : « Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire. » — C’est à peu près ce qu’on a dit.

Raison plus grave et péremptoire, tu ne voudrais pas me faire perdre mon temps ni manquer mon dîner.

Tu es la plus fine petite sœur que je connaisse et il y a vraiment du plaisir à correspondre avec toi.

Ton frère,

Édouard Leblanc.

Sa lettre terminée, Édouard la cacheta avec soin.

Après le dîner, il la jeta dans une boîte à lettres, en faisant sa promenade habituelle ; et il revint se mettre au travail, satisfait.

Depuis une heure et demie jusqu’à quatre heures et demie, il feuilleta ses livres et ses cahiers.

Aussi est-ce avec un soupir de soulagement qu’il quitta sa chambre, pour descendre au cours de cinq heures.

Au coin de la rue Sainte-Catherine, il acheta l’Indépendant et le Soir, et entra s’installer à la bibliothèque, pour les lire.

Qui l’eût vu, deux minutes après, le nez dans son journal et les pieds sur la table, n’eût pu s’empêcher de sourire d’aise, tant il semblait confortablement installé, dans cette posture qui eut désarticulé un homme ordinaire.

Il est certain que si sa mignonne sœur, Marie-Louise, l’eut aperçu, ainsi, elle se fut discrètement étonnée.

Mais, quand on est loin de chez soi, on devient un peu plus libre ; et quand on a passé son après-midi, enfermé, dans une immobilité complète, il faut bien aussi s’étendre un peu, pour se délasser.

Auprès du pupitre du bibliothécaire, qui n’en continuait pas moins à étudier, quelques étudiants jasaient à demi-voix.

Le plus grand nombre, installés à peu près comme Édouard, lisaient ou travaillaient.

Assez souvent, la porte de la bibliothèque s’ouvrait et se refermait poussée par un étudiant qui cherchait des yeux un camarade et entrait ou se retirait, selon le cas.