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À l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, Rivard fut forcé par le manque d’argent de quitter le collège. Il partit pour les États-Unis avec ses parents ; et, là, fit vivre son père et sa mère en travaillant aux journaux. Remarquez bien qu’au collège il était dans une classe à part, dans sa classe, tant, il était au-dessus de ses camarades ; cependant lui, l’homme de tous les succès, eut à dix-huit ans le courage de s’humilier jusqu’à des besognes inférieures, pour gagner son pain et celui de ses vieux parents ; et il eut l’énergie de travailler ainsi des quinze heures par jour. S’il usa sa jeunesse, ce fut à des labeurs splendides comme le dévouement même. Il fut à peu près tout ce qu’on peut être et même soldat. Pendant tous ces travaux divers, il trouvait moyen de se former et de s’instruire : si bien, qu’à l’heure qu’il est, il peut parler avec une égale compétence de littérature grecque, de finances, de colonisation et de poésie. C’est un homme complet et presqu’unique. Je me laisse entraîner à faire des louanges extraordinaires mais quand j’aurai fini, je crois que vous serez aussi enthousiaste que moi. Quand on le connaît, on ne peut pas s’empêcher de l’estimer et de l’admirer à outrance. La vie de travail et d’étude qu’il menait n’était pas faite pour l’enrichir. Aussi, quand la nostalgie du pays le prit, c’est sans un sou qu’il arriva à Montréal. Un ami, auquel il avait autrefois rendu des services, l’accueillit chez lui. En deux jours, il avait trouvé un emploi. Et, sans autre influence et sans autre puissance que sa plume et sa belle intelligence, il put, à son goût, entrer à n’importe quel journal français ou anglais de la ville, et en sortir pour entrer à un autre, tant qu’il le voulut. Mais, merveilleux journaliste, il était aussi et surtout honnête homme et patriote. Certaines besognes louches et certains compromis lui répugnaient trop pour demeurer à l’emploi des journaux où il avait passé. Il voulait, de plus, travailler à assainir un peu notre politique et à défendre les Canadiens-Français contre les injustices qu’ils endurent patiemment et les abus qu’ils tolèrent. Pour vous épargner un récit trop long, j’arrive tout de suite à la fondation de son journal, la Justice. Avec huit cents piastres, il fit pour quatre mille huit cents piastres de dépenses. En trois ans, il avait tout payé et son journal était devenu le journal qui avait le plus d’autorité, car on savait qu’il était seul indépendant. Maintenant, vous savez quelles luttes il a faites et quelles polémiques il a soutenues. Comme je vous ai dit, ce n’est pas précisément un imbécile : quand il voit des scandales et des abus quelque part, c’est qu’il y en a ; et il le dit. Il s’est toujours fait l’avocat de ceux qui avaient raison contre ceux qui étaient les plus forts. Il a tapé comme un sourd, partout où il voyait le mal et l’injustice et s’est fait des ennemis d’autant plus nombreux que le nombre des canailles est plus grand et qu’il ne couvre pas précisément les criminels de roses. Dans les polémiques, il est terrible ; ceux qu’il attaque sont des hommes voués à une chute certaine, car il a pour lui la vérité, la justice, l’honnêteté et une énergie qui fait qu’on se demande de quel métal il est fait. Marié et père de famille, il risque à tous les jours l’emprisonnement et la ruine, et pour qui connaît son cœur, c’est la plus grande preuve de sincérité qu’il puisse donner, que de risquer pour sa cause le bonheur de ceux qu’il aime. Il est heureux d’avoir rencontré celle entre dix mille, qui est assez dévouée et héroïque, pour savoir être son épouse. Pour moi, c’est un homme incomparable, une espèce d’apôtre laïque,