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pas moins arrivé. Such is life. Je croyais que tu avais vu ça sur les journaux.

— Je n’ai pas toujours le temps de les lire, dit Édouard.

— Tu ne lis même pas la politique ?

— Des fois. On peut se tenir au courant sans ça, ces jours-ci. Tout le monde ne parle que de politique et les nouvelles sont connues la moitié du temps, avant de parvenir aux journaux En fait-il du tapage, un peu, cet Ollivier-là ! On ne parle et on ne s’occupe que de lui.

— Ce n’est pas le premier venu, dit Lavoie : si le parti des modérés voulait lui donner un coup de main…

— J’appartiens à ce parti, moi-même, dit Leblanc, mais j’avoue que je ne les comprends pas : vont-ils se décider à se remuer.

— Console-toi, bouillant Édouard : ça viendra.

— Il en serait grand temps.

Comme la toile se levait pour un nouvel acte, ils se turent.

Lavoie, dont ce silence ne faisait pas l’affaire, se pencha vers Édouard et lui dit à demi voix : qu’est-ce que tu aimes mieux : aller au théâtre National ou voir passer les pompiers ?

— Entendre le chant des crapauds, répondit Édouard, en riant.

— Dis donc à Soucy de prendre un air ému.

— Passe-moi ton mouchoir, dit Soucy.

L’air de désapprobation de ses voisins fit taire Lavoie et l’arrêta au milieu de ses carabinades, non sans qu’il eût murmuré : il n’y a plus moyen de faire de critique artistique.

Un bon garçon, ce Lavoie, et un original, s’il en fut. Peut-être un peu mou de caractère ; mais quand, comme lui, on a toujours eu la vie facile et heureuse on se forme plus lentement — heureux quand on ne se déforme pas. Pour son plus grand bien il avait des parents dont les bons exemples et les fermes conseils devaient faire de lui un homme sérieux.

Le spectacle touchait à sa fin et bon nombre dans l’assistance avaient le mouchoir aux yeux. C’étaient un attendrissement général et l’on entendait des exclamations comme celles-ci : ces pauvres enfants !… Si ça fait pas pitié !… Ces chers petits choux !…

Et plusieurs des bonnes âmes eussent voulu être sur la scène, pour consoler les petits choux.

Enfin, au milieu d’une averse de larmes et d’une pluie le baisers, les petits choux renouvelèrent connaissance avec le giron maternel.

Je me demande, dit Lavoie, au sortir du théâtre quelle impression vont emporter tous ces gens-là.

Édouard : une bonne, je n’en doute pas.

— C’est possible, c’est une excellente pièce qu’on vient de jouer là.

— Oui ; c’est clair ; il n’y a pas d’immoralité et, par contre, une bonne morale : il s’en dégage très logiquement cette leçon qu’on ne doit pas compromettre inconsidérément la paix et le bonheur de son ménage.

— Est-ce que ça va avoir un influence quelconque sur les gens dans deux jours d’ici ?

— Pourquoi pas, dit Édouard, qui voulait voir la fin de la pensée de Lavoie.

— Est-ce que, par exemple, si une des femmes qui étaient-là, ce soir, est maltraitée par son mari, elle va lui dire : prends garde : je vais donner les enfants aux vendeurs de guenilles ?… elle serait, d’ailleurs bien en peine de faire cela…

— Alors tu penses que ?…

— Le théâtre, au point de vue moral, est tout au plus inutile, quand il n’est pas nuisible, — et qu’il ne peut avoir