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— Ça c’est rare. Aussi, tu étais si fort que tu les aurais tous mis dedans.

Là-dessus, &douard, bras dessus bras dessous avec Ricard, sortit de l’université. — Il avait fini ses études.

— De retour à sa chambre, il écrivit longuement à ses parents et leur dit tout le plaisir qu’il ressentait de ce premier pas vers le succès et toute la hâte qu’il avait d’être reçu avocat, pour aller les embrasser et passer quelque temps au milieu d’eux.


CHAPITRE XII.

L’absent


Montréal 24 décembre au soir, 190.. Ma chère Marie-Louise,

Je comptais sur mon ami Ricard pour aller à la messe de minuit avec moi ; et voici qu’il est invité chez des parents et qu’il ne peut venir. Puisqu’il en est ainsi, c’est avec toi que je vais passer la soirée ; et j’irai à la messe tout seul.

Tu ne saurais croire comme je me sens dépaysé ; une veillée de Noël, loin de la maison.

Je ne vous accompagnerai donc pas, ce soir ; je ne me mêlerai donc pas à cette foule amie, discrète et pieuse, qui envahit notre église quand les cloches sonnent et que l’on entonne : « Les anges dans nos campagnes ; » je ne reviendrai pas avec vous ; je ne jouirai pas de votre plaisir à tous et de la joie des enfants ; et ce n’est pas à votre table que je m’assoierai.

Et, demain, quand je me réveillerai, ce sont les vilains murs sales des maisons voisines qui frapperont mes yeux ; ce n’est pas ta voix qui m’appellera et je n’apercevrai pas la belle campagne couverte de neige éblouissante. Je n’irai pas me promener, avec toi, dans le grand espace et l’air pur ; nous ne verrons pas ensemble, les rangs blancs à perte de vue, avec les petites maisonnettes qui fument et les masses sombres des sapins.

Cet air de fête que, on ne sait comment, prend la campagne, ne sera pas pour moi.

Jouis bien de tout cela, ma belle, et pardonne-moi de te gâter ces beaux jours par d’aussi vains regrets.

Du reste, n’aie pas trop de peine pour moi : de t’avoir conté ce que je ressens m’a déjà remis mieux. — Et puis, nous nous reverrons bientôt.

Pour compenser, je te promets une lettre gaie, au jour de l’an.

Nous nous remettrons au travail, Ricard et moi, après demain ; tu vois que je pense à l’examen du Barreau et que je ne m’attarde pas au succès que j’ai remporté à l’Université. Dis cela à papa.

Demain, j’ai l’intention de lire et de me promener un peu, pour me distraire. Je me promets bien de passer le jour de Noël avec vous, l’an prochain.

J’envoie à papa un numéro de la Justice, qui est particulièrement intéressant. Demande-lui donc s’il veut me permettre de l’abonner.

Embrasse les enfants pour moi. Amitiés à tous.

Ton frère,
Édouard.

Sa lettre écrite, il la relut. — C’était une vieille habitude chez lui de toujours revoir tout ce qu’il écrivait, fut-ce un simple billet.

Il hésita quelques minutes ; puis, pensant décidément que des regrets exprimés si vivement arriveraient mal, un jour de fête, il prit sa lettre et la déchira.

Ensuite, il reprit la plume et en écrivit une, où, tout en exprimant la contrariété que lui causait son absence de la maison, il sut le faire d’une