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— Oui ; il me l’a dit. Depuis son accident du mois d’octobre, il ne croyait pas en avoir pour longtemps. C’est ce qu’il me répétait, quand il venait me voir. Et il avait mis toutes ses affaires en ordre, pour parer à une surprise possible.

— Pauvre père !

— Il a fait des adieux touchants à ta mère ; il l’a remerciée du bonheur qu’elle lui avait donné, et il lui a demandé de ne pas penser à lui quand il serait parti, mais à vous autres.

Édouard écoutait, les yeux pleins d’eau.

— Qu’a-t-elle dit ?

— Elle a répondu qu’il lui demandait l’impossible, qu’elle penserait toujours, toujours à lui ; mais lui a promis de vivre pour vous. Ils se sont alors embrassés en pleurant.

— Oh ! fit Édouard, comme elle a dû souffrir.

Et il ne s’apercevait pas que de grosses larmes lui coulaient le long des joues.

— Voyons, voyons, dit le curé ; calme-toi. Veux-tu revenir : nous finirons une autre fois ?

— Non ; achevez, monsieur le Curé.

— Pendant tout ce temps, ton père avait la main sur la tête de Marie-Louise, qui était prosternée à côté de son lit, et il lui caressait doucement les cheveux. Les forces commençaient à lui manquer, il a fait un effort pour se ressaisir, puis il a dit à Marie-Louise d’être toujours bonne enfant. Elle pleurait, cette pauvre petite, à fendre le cœur. Ta mère, elle, était plus calme et se contenait, pour ne pas attrister ton père. Il dit : j’aurais bien aimé à voir Édouard…… Ç’a été tout : il a perdu connaissance et est allé ensuite, en déclinant.

— Il n’a pas beaucoup souffert ?

— Non. Tu étais loin de t’attendre à sa mort ?

— Ça m’a absolument jeté par terre.

— Pauvre enfant, dit le bon curé, — qui n’avait pas tant fait venir Édouard pour lui raconter la fin de son père, que pour lui remonter le moral. — Et ça va un peu mieux ? continua-t-il. Ne te laisse pas trop abattre. Ta mère est-elle un peu plus résignée, aujourd’hui ? J’irai la voir, ces jours-ci.

— Elle se laisse soigner et prend un peu de nourriture. Heureusement, Marie-Louise fait tout ce qu’elle veut d’elle.

— Une bonne enfant, cette petite Marie-Louise. Sois bon pour elle. C’est toi qui es le chef de la famille, à présent. Ça va te vieillir. As-tu songé à ça ? Il va falloir que tu fasses un peu oublier, à Marie-Louise et à ta mère, l’absence de ton père.

— Je ferai de mon mieux, monsieur le Curé.

— Oui ; continue à faire comme quand ton père vivait et tu feras très bien. Ce sera le meilleur moyen d’apprendre à le remplacer. Il faudra que tu le remplaces dans la famille et auprès du public, tu sais ; qu’on dise qu’il a laissé un fils digne de lui.

Le curé continua encore quelque temps, sur ce ton. Il parlait de résignation chrétienne et d’espérances à la vie future. Et il ajouta :

« La meilleure manière d’être fidèle au souvenir des disparus, c’est d’agir comme s’ils existaient encore et de continuer à mettre leurs leçons en œuvre, et de continuer ainsi de mériter leur amour. Demande-toi, quand tu auras une décision à prendre : qu’est-ce que mon père m’aurait conseillé ? et agis en conséquence. Tu seras alors fidèle au souvenir du défunt et tu feras revivre ton père en toi. »

Édouard le remercia de ses bonnes paroles et s’en fut, non pas consolé, mais résigné et fortifié.

Il arriva à la maison comme on se