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la session qui commence, je n’ai plus grand loisir.

L’ouvrage n’a pas coutume de m’effrayer ; mais, cette année, je n’ai pas le cœur à la tâche : j’ai beau ne pas partager les fautes politiques de mon ministre, n’avoir aucune initiative, et n’être qu’un employé irresponsable, il y a certains contacts qui répugnent. Il y a aussi des besognes qui salissent. Dieu me préserve de jamais donner mon concours à celles-là.

Avec la session, la vie renaît à Québec.

Les dîners et les réceptions se succèdent, et il arrive que je sois mêlé à ces fêtes, où mes devoirs officiels me font, quelquefois, remplir un rôle.

Que deviens-tu ?

Une fois les affaires dont tu t’occupes, maintenant, terminées, entreras-tu dans le docte corps des avocats ou dans la grande confrérie des journalistes ?

Je ne te vois pas bien t’astreignant à la routine de la procédure et je m’attends plutôt à te voir une plume à la main, — pas loin du fauteuil directorial.

Je te parlais, tout à l’heure, de besognes auxquelles je me refuserais : dans l’embarras où se trouve le ministère, on a recours à tous les expédients et à tous les procédés dignes et indignes. Si jamais on voulait m’employer à certaines missions et me faire faire quelqu’une des saletés qu’on commet journellement, ici, je m’y refuserais. On me connaît et on n’a pas encore osé me faire de telles propositions, ni me donner de tels ordres, mais je sens néanmoins que ma position ici est très précaire ?

Comment va l’ami Leblanc ? Fais-lui mes amitiés.

On m’appelle… je reviens terminer ma lettre, à l’instant…

…Hélas ! mon cher ami, ce que je prévoyais est arrivé. C’est fini. Je pars.

L’Hon. Potvin m’a fait appeler.

Quand je suis entré, il a renvoyé sa sténographe, m’a fait fermer la porte du bureau, m’a regardé fixement et m’a dit : vous avez déjà été dans le journalisme, Giroux ?

— Oui, monsieur.

— On me dit même que vous êtes très fort. Ollivier nous ennuie, de ce temps-ci, et nous n’avons personne qui puisse tenir tête aux journalistes qui écrivent dans la « Justice ». Ne voudriez-vous pas vous essayer contre eux ? Une série d’articles très forts contre Ollivier, par exemple ? vous êtes bon pour faire ça. Votre salaire courrait pareil, le temps que vous seriez ainsi employé ; et si ce travail devait vous occasionner quelques dépenses… inutile de dire que nous vous les payerions. — Ceci, avec un sourire entendu.

Je lui ai représenté que cela m’était impossible.

Alors, vous ne voulez pas.

— Je ne peux pas.

— C’est bien, monsieur ; sortez et dites au comptable du département de vous payer.

J’ai salué ; et me voici sans emploi.

Heureusement que j’ai mes entrées aux journaux.

Je vais aller à Montréal et je suis sûr que je pourrai y vivre, sinon richement, du moins sans être forcé de me traîner dans la boue.

Je serai à Montréal dans deux jours ; tu auras ma première visite.

Cordialement à toi.

Ton ami,
Bernard Giroux.

Qu’en penses-tu, demanda Ricard ?

— Quel noble caractère !

— Hein ! S’il y en avait plus comme cela.