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Comme d’habitude, ils discutaient, leur conversation tournant toujours à la discussion — mais leurs discussions jamais à la dispute.

— Ainsi, mon cher Édouard, tu fondes sur Ollivier de grandes espérances pour l’avenir du pays ?

— Je crois, je l’avoue, que son arrivée au pouvoir serait un bien pour nous, Canadiens-Français.

— Que tu es donc naïf :

— Montre-moi en quoi je suis naïf, mon cher.

— Tu crois à l’avenir, au progrès : c’est naïf, cela.

— Je crois que c’est logique, tout simplement ; je sais que, sur le nombre de nos projets et de nos espérances, plusieurs ne se réalisent pas ; mais un certain nombre réussissent ; et c’est suffisant pour que je sois fondé à espérer.

— Voyons un peu tes espérances.

— Elles ne sont pas si chimériques que tu sembles le croire. Admets-tu qu’il y ait des choses à réformer et des progrès à faire, dans la province de Québec ?

— Il y en a partout.

— Tu sais, comme moi, la corruption qui ronge le gouvernement et surtout la manière déplorable et dépourvue de tout patriotisme dont il administre les affaires publiques.

— Nous avons pourtant un surplus, mon cher

— Qui a été pris dans la poche des contribuables, ça je te l’accorde. Il faut que l’argent soit pris à la bonne place et dépensé à la bonne place. Il y a aussi lieu de regarder plus loin : dans quelques années, sais-tu à qui il servira ce faux surplus, si les choses continuent au train qu’elles vont ?

— Il servira à nos enfants.

— Ah ! ah ! C’est toi qui deviens naïf : il servira aux Américains, aux Anglais, aux Juifs et peut-être même aux Doukhobors.

— N’éveille pas les questions de races, dit en souriant Ricard.

— Je ne les éveille pas, mais il conviendrait au moins ici, dans la province de Québec, que nous fussions chez nous et prospères.

— Crois-tu, par hasard, dit Ricard, qu’un autre gouvernement serait plus pur ?

— Oui ; et s’il doit toujours demeurer une certaine corruption, du moins serait-elle atténuée. De plus, je crois que, quand nous aurons un homme intègre à la tête de la Province, la corruption, qu’il est impossible de supprimer tout à fait, se réfugiera chez les politiciens de bas étage. Il y aura infiniment de différence entre un gouvernement où l’on dilapide, en haut, le patrimoine de la Province, où l’on vole en bas, et où l’on gaspille partout, et un gouvernement à la tête duquel sera un patriote, qui inspirera aux boodleurs une crainte salutaire et ne confisquera pas, à son profit et au profit d’un petit nombre, nos richesses nationales.

— C’est à savoir.

— Crois-tu à l’honnêteté d’Ollivier ?

— Oui.

— Je ne parle pas de ses talents et de ses capacités : elles sont incontestables. Maintenant, crois-tu aux malversations de nos ministres actuels ?

— Nous les avons vues ; il est difficile de n’y pas croire.

— Alors, conclus.

Ricard ne répondit pas ; ils se turent, tous deux, subissant le charme du renouveau.

Ils étaient dans le chemin sous bois qui conduit du cimetière protestant au cimetière catholique, et qui longe une route pareille pratiquée sur la montagne, du côté du cimetière catholique ; les deux routes aboutissent presque ensemble au rond point où