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Arthur bénéficiait de cet état de choses. Il savait sa mère prête à toutes les indulgences et s’il n’avait eu un bon naturel et si l’amitié de sa sœur n’avait été mêlée d’un peu plus d’énergie que les sentiments d’affection de sa mère, il se fût probablement laissé entraîner à de malheureux excès.

Il était la raison d’être de sa mère et il jouait le premier rôle dans le modeste logis, où toutes les attentions, tous les soins et toutes les admirations convergeaient vers lui. Avec une cruauté inconsciente, madame Doré sacrifiait sa fille pour lui et ne s’occupait que de ce qui le concernait. Marcelle, qui était encore fort jeune et qui ne se rendait pas nettement compte des joies et des avantages dont elle était privée, jouait avec bonne grâce le second rôle et s’effaçait avec humilité devant son frère, de la supériorité duquel elle était convaincue. Les deux femmes ne vivaient que par lui et pour lui, et Arthur acceptait avec un égoisme satisfait ce sacrifice et ce dévouement.

Le départ d’Arthur pour l’université causa donc un grand vide à la maison et l’impression pénible due à son absence fut encore accentuée par l’approche des longues soirées d’automne et par le fait que la plupart des touristes avaient quitté le village, devenu solitaire et morne, en dépit du paysage riant et gracieux qui l’environnait, de la verdure des arbres, des collines, des champs et des horizons, qui semblait mettre au défit les premiers souffles froids de l’automne.

L’étudiant partit, un matin de septembre ; sa mère et sa sœur l’accompagnèrent à la gare, le cœur gros, car plusieurs mois s’écouleraient avant qu’elles ne le revissent. Elles rencontrèrent à la gare la famille Duverger, qui venait reconduire Louis, également sur le point de rentrer à l’université.

Plusieurs autres enfants accompagnaient le père Duverger et sa femme, et madame Doré eut un serrement de cœur, à leur vue, en pensant que quand elle retournerait au logis, elle n’y trouverait personne et qu’elle serait en tête-à-tête avec sa fille, à laquelle elle tâcherait de cacher son chagrin, mais qui le devinerait et ferait pour la distraire de vains efforts.

Les deux familles s’abordèrent et le père Duverger et sa femme, qui avaient beaucoup de déférence pour madame Doré, dont ils voyaient la peine, mirent dans leur accueil toute la bonté des cœurs simples et forts. Sans affecter de s’adresser à elle, le père Duverger eût pour madame Doré des paroles d’encouragement et de réconfort qui lui firent du bien. Il n’était pas peu fier de voir son garçon au même rang qu’Arthur Duverger et de voir Marcelle le traiter en camarade ; il songeait avec infiniment de satisfaction que ses labeurs n’avaient pas été vains, que son fils lui faisait honneur, gravissait un échelon de l’échelle sociale, grâce à lui, et lui en était reconnaissant. Il ne faisait cependant rien voir de ses sentiments, avec une délicatesse touchante.

L’entretien ne dura pas longtemps. Le train approchait et l’on se dit adieu. Louis embrassa sa mère, ses frères et ses sœurs et serra cordialement la main à son père, pendant que Marcelle et sa mère di-