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miration et de sollicitude à laquelle l’avait habitué sa mère. Et il passait son temps là, éloignant de Jeanne Legris les prétendants sérieux et négligeant de revoir les leçons du jour.

Quand il n’était pas chez les Legris, il s’amusait ailleurs et il trouvait rarement le temps de feuilleter son code.

Le trajet entre Saint-Augustin et Montréal n’est pas long. Les deux étudiants furent vite arrivés.

Ils logeaient ensemble, dans la même pension, chez un couple qui demeurait rue Saint-Denis, dans une maison située près de la rue de Montigny et qui est maintenant transformée en magasin.

Il y a d’innombrables pensions à proximité de l’université Laval et plusieurs reçoivent un nombre considérable d’étudiants. Le couple chez qui logeaient Arthur et Louis n’avait qu’une chambre à louer et les époux ne voulaient pas se donner trop de trouble ; ils n’avaient donc pris que les deux étudiants comme pensionnaires, ce qui assurait aux jeunes gens une paix et une tranquillité fort appréciables pour leurs études. La chambre où ils habitaient tous les deux était sous le toit et les locataires du logis, qui ne faisaient pas plus de bruit que deux souris grises, logeaient à l’étage inférieur. Un calme quasi-monastique régnait dans la maison quand les étudiants n’y étaient pas et ne l’animaient pas de leurs rires sonores. Quand ils montaient à leur chambre, le vieux les suivait et s’asseyait au milieu de l’escalier, d’où il écoutait en souriant silencieusement, le bruit jeune de leurs voix.

Arthur et Louis étaient arrivés la veille de l’ouverture des cours, de sorte qu’ils n’eurent que le temps d’ouvrir leurs valises et de s’installer.

Ils ne virent personne jusqu’au lendemain matin, car ils ne sortirent pas. Mais le lendemain, de bonne heure, ils étaient rendus à l’université, pour renouer connaissance avec les camarades et les revoir, après trois mois de séparation.

Malgré l’heure matinale à laquelle ils se rendirent, beaucoup d’étudiants étaient déjà là, heureux de reprendre leurs études et de recommencer la vie libre de tout soucis de l’université, où on oublie trop facilement qu’on est venu pour travailler et se créer un avenir.

L’université est un carrefour d’où partent les chemins qui conduisent dans la vie et c’est là qu’on choisit définitivement sa voie et qu’on se fait ce qu’on doit être plus tard. C’est là que les caractères s’affirment et s’affermissent ; c’est là que les énergies et les ambitions se font jour, que les rêves et les illusions se dissipent et que l’on s’oriente définitivement. C’est là que quelques-uns s’arment pour la lutte de la vie et que d’autres font misérablement naufrage.

La rentrée des cours est véritablement un événement solennel et redoutable, auquel trop peu se préparent et qu’un trop petit nombre envisagent sérieusement. Pour beaucoup, la joie d’être libres et sans discipline et le mirage des plaisirs universitaires constituent la note dominante de la première journée et en masquent l’importance extrême.