Page:Mousseau - Mirage, 1913.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 16 —

La vie d’université s’ouvrit donc, avec ses journées bien remplies de besognes diverses, car les étudiants qui veulent travailler ont tous l’ouvrage qu’ils veulent, comme aussi ceux qui veulent perdre leur temps et fainéanter le peuvent facilement. On commence en effet à pratiquer l’apprentissage de la vie, à l’université ; on n’a plus une règle prévoyant l’emploi de chaque instant et on est absolument libre, — en apparence, car l’esclavage du travail quotidien est bien plus dur que les règles des communautés et des écoles. Ces règles enlèvent en effet presque toute responsabilité à celui qui les suit et lui épargnent presque tout effort ; il n’a qu’à se laisser conduire et à accomplir, à l’heure dite, la besogne qu’on lui présente, tandis que dans la vie il faut se faire violence et se commander à soi-même d’exécuter tel travail à telle heure ; il faut faire un effort continuel et dompter souvent des répugnances ou même un malaise physique qui rend presque impropre au travail. La nécessité de la vie est là qui nous pousse et nous harcèle, sans nous laisser de répit : un homme qui cesse de travailler, qui ne poursuit pas la tâche commencée, devient inutile et il est un fardeau pour lui-même et pour la société. Le flot de la vie le rejette, comme une rivière jette sur ses rives l’écume et les épaves qui ne peuvent suivre son cours rapide.

L’étudiant indolent n’a d’autre aiguillon que la déconsidération auprès de ses professeurs mais son inertie a pour saction l’échec à la fin de ses cours.

Le nombre de ceux dont le courage n’est pas à la hauteur de l’effort quotidien est heureusement peu considérable et le déchet qu’un cours universitaire jette dans la société n’est pas aussi considérable que pourrait le faire croire la vue d’une de ces épaves de la rue Saint-Jacques, d’un de ces quelques universitaires qui n’ont pu ou qui n’ont pas voulu réussir et qui maintenant, attachés quand même à une profession dont ils ne se sont pas rendus maîtres, hantent les bureaux d’avocats et fréquentent encore leurs anciens camarades d’université, trop heureux quand, faute d’un client ou d’une affaire, ils peuvent au moins se faire payer une consommation.

Mais on voit aussi, rue Saint-Jacques et aux abords du Palais, des jeunes gens qui courent souvent plutôt qu’ils ne marchent, des dossiers entre les mains et l’air si affairé qu’on les prendrait pour quelque « savant maître », si leur jeunesse ne rendait cette idée improbable. Ce sont les étudiants en droit qui travaillent et qui se préparent consciencieusement à la profession d’avocat en parcourant les dédales du palais et aussi ceux non moins compliqués de la procédure. Ils sont fort occupés, car la chicane ne chôme guère, et les formalités qu’il faut remplir pour mener à bien un procès sont innombrables.

Louis Duverger était du nombre de ceux qu’on rencontrait régulièrement chaque jour au palais et il n’avait pas une minute à lui, pendant toute la semaine. Les cours commençaient à huit heures du matin et se terminaient à dix heures. De ce moment il appartenait au bureau, où on lui laissait à peine le temps de prendre le lunch et où on