posant notre exemple. Cela ne ferait pas son affaire s’il chassait ceux qui sont rendus à Saint-Augustin. Je crois qu’il est plus fin que cela. En tout cas, il y a un moyen bien simple de remédier au mal : je vais téléphoner à Savard et à nos amis qui villégiaturent à Saint-Augustin ; nous allons voir Dulieu, nous allons nous assurer de ses intentions et nous allons lui faire comprendre que nous pourrions contrecarrer ses projets, s’il n’est pas raisonnable. S’il est raisonnable, nous l’aiderons, ce sera dans notre intérêt autant que dans le sien, et nous tenterons de faire venir des gens que nous connaissons. Justement, mon ami Leblanc avait l’intention de venir acheter une propriété à Saint-Augustin. Il doit y en avoir d’autres aussi. »
— Que je suis contente, papa, dit Ernestine, c’est une bonne idée. Pendant que les Ducondu s’inquiétaient ainsi de ce que deviendrait Saint-Augustin, ils oubliaient complètement de penser au père Josaphat Beaulieu et à sa famille, et de se demander où ils étaient allés.
S’ils s’étaient informés de lui, ils auraient appris qu’il était rendu à la ville.
Comment le père Beaulieu, à l’âge qu’il avait, en était-il venu à abandonner la terre sur laquelle sa famille vivait, de père en fils, depuis trois générations, voilà qui vaut la peine d’être raconté.
Dulieu, qui ne laissait jamais s’écouler longtemps entre la conception d’un projet et sa mise à exécution, était retourné chez Beaulieu, le lendemain du pique-nique qu’avait donné madame Ducondu. Il avait prétexté un objet perdu dans les buissons et le père Beaulieu, fort obligeant, s’était offert à l’accompagner pour l’aider dans ses recherches.
Inutile de dire que Dulieu ne trouva rien, mais il obtint tous les renseignements qu’il désirait obtenir.
La terre du père Beaulieu était coupée en deux par le grand chemin. Sa plus grande moitié se trouvait longée par un autre chemin transversal, qui conduisait dans les « rangs ». Elle était boisée à souhait et située près d’un cours d’eau. Le cultivateur, rendu loquace par la fête de la veille et mis en confiance par les manières engageantes de son interlocuteur, avoua à Dulieu que la vie était dure et qu’il suffisait tout juste à mettre les deux bouts ensemble, à la fin de l’année.
Saint-Augustin est loin des marchés, le sol y est rocailleux et ne produit pas en raison du travail que demande sa culture. Le père Beaulieu, après vingt ans de travail, avait réussi à élever sa famille, composée de deux fils et de trois filles, dont deux étaient mariées, mais il n’avait pu mettre un seul sou de côté. Après une vie de labeur incessant, il devait continuer à travailler sans répit jusqu’au dernier jour.
Cette loi du travail qui courbe le paysan vers le sol depuis sa jeunesse jusqu’à ce que son corps fatigué aille reposer dans la terre qui l’a nourri est acceptée avec résignation par les habitants de nos compagnes. Ils ont des vertus admirables de patience et de résignation, qu’ils puisent dans la contemplation quotidienne d’une nature forte et