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l’avait animée ; c’était donc son départ qui l’attristait. Cette conclusion calma les inquiétudes de madame Doré, qui ne pouvait concevoir que Marcelle ne rapportât pas tout à Arthur, comme elle-même.

Le chagrin inavoué de la jeune fille demeura donc sans consolation.

Louis regretta aussi de s’éloigner de Marcelle, sans cependant savoir bien clairement pourquoi : on se rend si difficilement compte d’un premier amour, qui après avoir été plein de promesse ne réserve souvent que des regrets, quand on comprend, trop tard, ce qu’on a perdu.

Souvent, après son retour à la ville, quand il se fut remis à ses études, Louis pensa à Marcelle et se demanda ce qu’elle devenait, dans la solitude de Saint-Augustin. Il ne parla cependant jamais d’elle à Arthur et celui-ci fit de même. Le roman ébauché entre les deux jeunes gens demeura donc en suspens, après avoir été interrompu, au moment psychologique, par des circonstances fâcheuses.

Comme par le passé, Louis sortait peu et travaillait beaucoup. Il n’allait guère que chez le docteur Ducondu et chez l’épicier Beaulieu, attiré au premier endroit par la façon aimable et hospitalière dont on le recevait et poussé vers la demeure de l’épicier par ces mille liens invisibles qui lient entre eux les gens d’un même village et qui font qu’ils se revoient toujours avec plaisir.

Chez les Beaulieu, Louis fréquentait surtout Henri et Marie, avec lesquels il était le compagnon d’autrefois, pas plus « fier » qu’au temps où il courait nu-pied, sur les routes poudreuses de Saint-Augustin, en compagnie du fils et de la fille de l’épicier. Chez le docteur Ducondu, il voyait généralement toute la famille, car le docteur, sa femme et sa fille passaient généralement la soirée ensemble, à moins que le docteur n’eût des patients ou que madame Ducondu ne fût occupée. Cela arrivait quelquefois et Louis passait quelques heures seul au salon avec Ernestine, qui lui faisait de la musique et chantait pour lui.

Quelquefois aussi Arthur était de la partie. N’ayant pu empêcher Louis de se lier avec le docteur et sa famille, il voulait du moins que le jeune Duverger ne fût pas mieux vu que lui-même et il l’accompagnait aussi souvent que possible. Il en résultait bien des blessures pour son amour propre, car on lui faisait poliment comprendre chez le docteur, qu’on lui préférait Louis. Le docteur affectait de s’adresser de préférence à Louis, quand il parlait aux deux étudiants, et madame Ducondu et sa fille réservaient leurs plus gracieux sourires pour le jeune Duverger.

Arthur enrageait alors et Louis se demandait avec inquiétude s’il n’avait pas froissé son ami sans le faire exprès.

Comme il en avait l’habitude en pareille circonstance, Arthur soulageait sa mauvaise humeur en étant aussi désagréable que possible pour Louis et aussi en écrivant chez lui et en racontant les mauvais procédés dont il prétendait avoir à se plaindre de la part de Louis, Madame Doré s’indignait quand elle recevait ces lettres. « Comment »,