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l’avouer, la meilleure manière de réussir dans ce bas-monde, quelque regret que doive occasionner cette constatation.

Adulé par les uns, respecté par les autres, généralement estimé, Dulieu n’était connu sous son vrai jour que par un petit nombre de malheureux dont aucun n’était capable de lui faire perdre la considération à laquelle il n’avait pas droit et dont il jouissait quand même.

Il passait la belle saison à Saint-Augustin et goûtait les beautés de la nature sans aucune arrière-pensée, avec autant de calme et de candeur qu’un enfant : les parfaites canailles éprouvent souvent une paix d’esprit et de conscience que bien des honnêtes gens scrupuleux pourraient leur envier.

Il avait réussi, au moyen d’une réclame savante et grâce à ses nombreuses relations, à mettre Saint-Augustin à la mode et à donner à cet endroit une vogue dont il retirait le bénéfice. Les « lots » formés avec la terre du père Beaulieu s’enlevaient rapidement et Dulieu songeait sérieusement à acheter la terre voisine, pour continuer une spéculation qui s’annonçait comme devant être très heureuse.

Cette candeur et ce calme de l’esprit et de la conscience avec lesquels Dulieu vivait en communion avec la nature et goûtait les charmes de l’été dans les montagnes boisées de pins, d’autres aussi en jouissaient, et avec plus de droit que lui, à Saint-Augustin. Louis Duverger et Ernestine Ducondu surtout trouvaient que leurs vacances étaient les plus charmantes qu’ils eussent encore passées.

Le jeune homme et la jeune fille devenaient de jour en jour meilleurs amis, grâce à cette cordialité particulière qui règne pendant les villégiatures, à cette simplicité plus grande dans les rapports mondains qui est due, semble-t-il, au rapprochement de la nature.

Fort mal reçu chez les Doré, où la mère et le fils tenaient à lui faire sentir qu’il n’était qu’un garçon de cultivateur, tandis qu’Arthur croyait appartenir à la société, Louis avait naturellement été porté à aller plus fréquemment chez le docteur Ducondu, où il était bien accueilli.

Il était plus désireux de distractions que d’habitude, car il voulait oublier complètement ses études, pendant quelques semaines, pour les reprendre avec plus d’ardeur à l’automne. C’était la raison pour laquelle il tenait à bien jouir de ses vacances, mais une autre raison aussi lui faisait rechercher la société d’Ernestine : deux êtres jeunes ne peuvent longtemps faire des promenades ensemble, contempler le ciel quand les nuages blancs des belles après-midi d’été s’y entassant à l’horizon ou quand les étoiles y tremblent dans l’azur au cours des soirées tièdes et parfumées, écouter les chants des cigales au cours des haltes sous les grands arbres, sans entendre quelquefois aussi le battement de leurs cœurs.

Ni Louis ni Ernestine ne savaient ce que c’était que l’amour et il avait déjà passé près du jeune homme sans que celui-ci s’en aperçût, aux dernières vacances de Noël, mais tous deux goûtaient dans la com-