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Elle n’eut pas plutôt dit ces mots qu’elle s’en repentit. Sa mère avait pâli et portait les mains à son cœur.

Les deux femmes se comprirent alors et elles mêlèrent leurs souffrances dans une poignante étreinte.

Et le journal, qui pénètre dans tous les foyers, continuait d’annoncer la nouvelle. Il l’annonça dans une autre maison de Saint-Augustin, où demeuraient une femme, une jeune fille et un jeune homme en deuil, la demeure de la veuve du père Beaulieu, qui vivait avec sa fille et son fils Henri. On se réjouit dans cette demeure, où Louis était considéré comme un ami.

« C’est le père Duverger qui doit être content, » dit Marie avec plaisir.

— Oui, dit Henri, il a assez travaillé pour faire un « monsieur » de Louis.

Tous les trois parlèrent pendant quelques minutes de l’heureux événement, dont ils se réjouissaient sans envie, en braves gens qu’ils étaient, puis Henri sortit, pour aller faire son « train ».

Le jeune homme était arrivé à Saint-Augustin depuis quelques semaines, avec sa mère et sa sœur, et ils s’étaient installés sur la petite « terre » qui leur restait. Ils avaient été reçus avec sympathie par les villageois, qui auraient certainement ri de l’épicier s’il était revenu au milieu d’eux après s’être ruiné en ville, mais qui respectaient le malheur accompagné de la mort. Joseph était demeuré à la ville. Il avait pris toutes les dettes de la succession à son compte et il ne désespérait pas de les payer toutes et de dégrever les « lots », car il était excessivement entendu en affaires.

Henri pensait aux aventures surprenantes et malheureuses qu’avait rencontré sa famille depuis deux ans, et, tout en soignant les bêtes, dans l’étable attiédie par leur haleine, il réfléchissait que le bonheur et la fortune se dérobent quelquefois bien cruellement devant ceux qui les recherchent.

Quand on regarde au loin, du haut des collines qui bordent les rives du golfe Saint-Laurent, par les beaux jours d’été, on croit apercevoir l’autre rive, on s’imagine même distinguer les espaces boisés et les étendues découvertes, on pense pouvoir compter des taches blanches qu’on prend pour des maisons ; puis le soleil chasse l’illusion et on découvre que ce n’était que du mirage.

Souvent aussi, nous poursuivons des chimères, que nous croyons être très près, que nous pensons pouvoir atteindre et toucher à l’instant ; elles s’évanouissent, nos rêves s’enfuient, les projets que nous croyions sûrs et dont nous escomptions la réalisation prochaine se changent en déception : ce n’était qu’un mirage.


FIN.