Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, II.djvu/373

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nous vîmes des patrouilles de cavalerie qui, des hauteurs stériles, nous regardaient, mais elles disparaissaient aussitôt que notre avant-garde approchait d’elles.

Le 3, l’armée campa auprès de Ouad-el-Aria, petit ruisseau dont les eaux limpides rafraîchirent agréablement nos soldats. Je dois remarquer qu’en général nous n’avons pas manqué d’eau. S’il n’y a pas de rivières navigables dans ce pays, en revanche il y a une grande abondance de sources et de petits ruisseaux ; on ne fait pas une lieue sans en trouver, ils courent ordinairement vers l’Est. Ce n’est que dans la saison la plus chaude, depuis le mois de juillet jusqu’au mois de septembre, que beaucoup de ces ruisseaux se tarissent. La contrée que nous parcourûmes depuis Merdjez-el-Hammar était d’une stérilité désolante ; ce n’est qu’aux approches de Constantine que nous nous trouvâmes consolés par l’aspect d’une nature vraiment grandiose. Cependant, pour beaucoup d’entre nous, il était d’un grand intérêt d’observer la forme de l’Atlas à cette distance de la mer.

« Depuis Rez-el-Akba, nous marchions dans un pays très-élevé, dont les vallées mêmes étaient au moins à 1.500 pieds au-dessus du niveau de la mer ; mais les montagnes ne s’élevaient qu’à 500 pieds au-dessus des vallées : c’étaient de véritables collines. Les vallées s’élargissent quelquefois et se transforment en plateaux dont quelques-uns embrassent jusqu’à 30.000 hectares de terrain. On voit bien rarement des rochers ; partout une terre grisâtre, une végétation pauvre, çà et là de petites herbes, mais généralement un sol nu. Pas un arbre un peu élevé, pas un oiseau chantant pour mêler quelque poésie à cette solitude monotone. Il est vrai qu’on ne s’ennuie pas, même dans un désert au milieu de quelques milliers de Français qui trouvent partout matière à causer et à rire. Le règne animal était, s’il est possible encore, plus pauvre que le règne végétal. Aucun insecte ne bourdonne autour des fleurs clairsemées. Notre unique et assidu compagnon était le grand aigle à tête blanche (vultur leucocephalus) dont une nuée immense planait au-dessus de nos têtes comme une armée de géants ailés ; on ne pouvait regarder sans un saisissement profond ces oiseaux qui sentent les cadavres et suivent les armées comme les requins suivent les vaisseaux. Pendant le silence de la nuit, nous entendions-le rugissement des lions que les feux de nos camps empêchaient de venir chercher leur proie parmi nos chevaux et nos mulets. Les plateaux stériles de la province de Constantine sont la véritable patrie de ces redoutables animaux : c’est là que le lion partage avec le Bédouin l’empire du désert ; le lion en est le maître absolu pendant la nuit, et il apparaît régulièrement devant les douaires arabes pour lever la dîme sur le bétail.

« Notre marche jusqu’à Constantine dura près de six jours, quoique cette ville fût éloignée seulement de 19 lieues de Merdjez-el-Hammar et de 41 lieues de Bone. Les scènes du bivouac étaient toujours très-pittoresques. On campait toujours auprès d’un ruisseau ou d’une source, et le camp recevait le nom du village, ou du ruisseau, ou du tombeau, ou du marabout le plus proche. Dès que le carré était clos, il fallait admirer l’activité des soldats. Les uns couraient pour chercher de l’eau ou des tiges de chardons secs, faute de bois dont le pays est dénué ; d’autres allumaient le feu et préparaient la cuisine ; bientôt on voyait briller mille feux : ici on entendait des chants, là des causeries, plus loin des rires joyeux. Les orateurs du bivouac (c’étaient ordinairement des volontaires parisiens)