Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, II.djvu/376

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fit recommencer le feu. Les mortiers et les pièces de 24 tonnèrent sans interruption. Chaque coup était répété par l’écho le plus voisin de la montagne, qui le renvoyait à un écho plus éloigné, celui-ci à un autre, tellement que le bruit de la canonnade a pu être répercuté ainsi de montagne en montagne jusqu’au désert. Après avoir examiné la batterie, le général Damrémont s’avança imprudemment vers la partie occidentale de la colline de Coudiat-Aty pour observer, à l’aide d’une longue vue, l’effet du feu. Les boulets, les bombes, et même les balles qu’il entendait siffler ou crever autour de lui, ne purent l’arrêter dans sa promenade téméraire. Il expia enfin ce mépris obstiné de la mort : un boulet de quatre le renversa sans vie. À peine eut-il le temps de recommander à Dieu son âme intrépide par ce mot : Mon Dieu ! qui lui échappa. Le général Perregaux, se penchant sur le corps de son ami, fut blessé au front par une balle. Le général Rulhières fut effleuré par un coup de fusil à la joue gauche, et sa capote fut trouée de plusieurs balles. Le duc de Nemours se trouvait sur le même lieu où les projectiles de toute espèce ne cessaient de pleuvoir ; ses aides-de-camp essayèrent de l’en éloigner, même par la force ; mais il résista avec indignation, et resta comme les autres jusqu’à ce qu’on eût relevé le corps du général Damrémont.

« Le jeune duc de Nemours, pendant toute l’expédition, a fait preuve d’une grande bravoure ; je l’ai vu au milieu du feu le plus terrible, sur des lieux où les bombes s’enfonçaient dans la terre quatre fois par minute. Nous autres nous pensions ne rien faire de honteux en nous couchant quelquefois pour que les éclats des bombes passassent au-dessus de nous ; mais le prince méprisait nos manœuvres prudentes et se promenait sous la pluie des balles avec un sang-froid que nous admirions tous, mais dont je n’oserais apprécier le mérite, car sa taciturnité était aussi surprenante que sa bravoure. Jamais il n’a fait entendre à l’armée ou à des corps séparés une parole d’enthousiasme ; l’idée ne lui est pas venue de récompenser un beau fait d’armes par le moindre compliment. En présence du corps sanglant du général en chef, lorsque l’émotion la plus profonde s’empara de tous les officiers, même des partisans du maréchal Clausel, le duc de Nemours avait certes la plus belle occasion qui pût s’offrir à un jeune prince de révéler un certain talent oratoire : il ne sortit pas de sa bouche une phrase brillante, pas un mot digne d’être répété et d’être inséré dans le Moniteur Algérien. Le duc de Nemours montra dans cette occasion comme dans toutes les autres une bravoure inébranlable et un grand sang-froid ; mais il resta muet.

Après la mort du général Damrémont, un conseil de guerre fut convoqué et le commandement de l’armée fut confié au général d’artillerie Valée, vétéran de l’Empire. Ce triste événement n’occupa l’armée que pendant quelques heures ; il fut bientôt oublié. Le général Damrémont et les soldats de l’armée d’Afrique se connaissaient depuis trop peu de temps pour que la perte de ce général, qui pour la première fois exerçait un commandement de quelque importance, pût causer en eux une sensation bien profonde. C’était une opinion générale dans l’armée, surtout parmi les soldats, que Constantine n’eût pas été prise si le général Damrémont eût conservé le commandement.

Le général Valée, homme morose et opposé au système de négociations et de traités qu’on avait adopté depuis quelque temps, donna sur-le-champ l’ordre de