Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, II.djvu/555

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aux troupes les manœuvres relatives aux retraites, soutenant qu’elles n’en auraient jamais besoin ; assertion bizarre, les manœuvres en arrière étant parfois aussi urgentes que celles en avant, en bataille, ou par le flanc ; et si une pareille injonction a jamais été donnée, ce qui est peu probable, les généraux français, et Masséna à leur tête, ont dû convaincre Suwarow de son absurdité.

Dès le jour de son arrivée à l’armée, il publia un ordre du jour par lequel il recommandait à ses soldats d’employer de préférence, contre l’ennemi, la baïonnette et l’arme blanche. Profitant ensuite des avantages que les généraux Kray et Mêlas avaient déjà obtenus sur les Français commandés par Schérer, il les poussa avec vigueur et ne tarda pas à s’emparer de tout le Piémont. Il voulait, dès lors, que le roi de Sardaigne revînt dans sa capitale. L’opposition des généraux autrichiens fit naître entre eux et lui un commencement de mésintelligence.

Moreau, qui succéda à Schérer, était plus prudent et plus habile que son prédécesseur ; il défendit le terrain pied à pied, avec des forces trop inférieures cependant pour n’être pas contraint de reculer ; mais il le fit en bon ordre, et ce ne fut qu’après un échec funeste, le 27 avril, au passage de l’Adda, et une autre affaire malheureuse, le 16 mai, qu’il dut évacuer les places d’Alexandrie et de Turin, et se retirer sur la Suisse. Si Moreau avait été en mesure d’opposer une résistance complète aux armées coalisées, on aurait pu reprocher à Suwarow de s’être laissé trop emporter, en cette occasion, par son impétuosité fougueuse, en poursuivant l’ennemi, sans avoir laissé des forces suffisantes pour arrêter l’armée que Macdonald ramenait de Naples à grandes marches, et qui menaçait de prendre les vainqueurs à dos. Suwarow comprit cette faute et se hâta de la réparer. Retournant sur ses pas, il marcha avec célérité contre son nouvel ennemi, culbuta tous les corps qui se trouvaient sur son passage, battit l’avant-garde, et livra, les 18 et 19 juin, les sanglantes batailles dites de la Trébia, où les Français, après des prodiges de valeur, furent enfin repoussés avec une perte considérable.

Le vainqueur ainsi délivré de la crainte de se voir tourné, ne put cependant couper à Macdonald sa retraite sur la France. Moreau, d’un autre côté, qui avait espéré longtemps être renforcé par Macdonald, mais qui ne put l’être, parvint à réunir assez de moyens pour opposer une résistance insurmontable aux progrès de Suwarow. La rivière de Gênes devint une barrière que le général russe ne put franchir.

Le Directoire, ayant sur ces entrefaites nommé Joubert général en chef de l’armée d’Italie, il vint en prendre le commandement au mois de septembre, pour livrer la sanglante bataille de Novi dans laquelle il fut tué. Ce fut la dernière victoire de Suwarow ; elle fut vivement disputée, et Moreau qui reparut à la tête de l’armée, opéra une glorieuse retraite devant des forces supérieures.

À cette époque, la mésintelligence entre le général russe et les généraux autrichiens s’était augmentée. Suwarow éprouvait une grande antipathie pour les généraux allemands avec lesquels il était forcé d’opérer ; il se plaisait à heurter de front leurs préjugés, se moquait de leurs habitudes formalistes, et y opposait une simplicité brusque et les mœurs presque sauvages d’un vieux Russe. Aussi les Allemands le traitaient-ils de Cosaque mal civilisé et lui reprochaient-ils, en outre, d’avoir peu de combinaisons profondes, d’être mauvais tacticien, d’employer des manœuvres plus rapides qu’habiles, de prodiguer sans pitié le sang des soldats et de vouloir tout emporter par la force. Ces reproches était fondés jusqu’à un certain