Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/446

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et boiteuse d’estaminet que j’écrivis mon Max Havelaar, au milieu d’un tas de buveurs de faro, débonnaires, mais inesthétiques ; je croyais créer, faire quelque chose.

Cette espérance me soutenait, cette espérance me rendait éloquent par-ci, par-là.

Je me souviens encore de l’émotion que je ressentis en lui écrivant, à Elle : » mon livre est fini ! mon livre est fini ! À présent, avant peu, tout ira bien ! »

Je venais de traverser quatre années longues et difficiles, — quatre années perdues inutilement, hélas ! — en m’efforçant de produire quelque chose qui pût améliorer la situation sous laquelle se courbe le Javanais.

J’avais agi, sans publicité, sans attirer l’attention, et surtout sans vouloir provoquer l’ombre d’un scandale.

Le misérable Duymaer van Twist, qui, pour peu qu’il eût eu le moindre sentiment d’honneur, devait être mon allié naturel, ne put se résoudre à me prêter la main.

La lettre que je lui adressai a été publiée mille fois ; elle contient à peu près tous les points principaux du procès Havelaar.

Cet homme ne m’a jamais répondu ; jamais il n’a montré la moindre intention de rémédier à tout le mal qu’il avait fait ou fait faire. Forcé, par la souplesse de cette conscience élastique, à m’adresser au public, obligé de changer de voie, je ne pus résister à mon indignation.

Cette même indignation me donna les moyens d’atteindre à l’impossible ; j’obtins un moment d’audience.

Ce que la lâche impassibilité de Duymaer van Twist ne voulut pas m’accorder, grâce à mes efforts désespérés, la nation me l’accorda.

On… m’entendit.

Hélas ! entendre et écouter sont deux choses bien distinctes.

Tiens ! disait-on de tous les côtés, voilà un joli livre… et… vraiment, si l’auteur a encore un petit conte, comme celui-là, dans ses cartons…

Oui, on s’était amusé en le lisant, et l’on ne se donnait pas la peine de réfléchir, — ou l’on feignait de ne pas comprendre, — que moi, qui me trouvais au milieu de ma vie, je n’avais pas abandonné une carrière promettant de devenir brillante, rien que dans un but d’amusement personnel, et pour mon plaisir.

On ne pourrait pourtant pas supposer que c’était par pure distraction que j’avais bravé le poison, oui, la mort par le poison, pour moi, pour ma courageuse femme, et pour notre enfant adoré.