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LA TEUFELSGRAT

que le Cervin », ce pic étant le seul que nous ayons gravi ensemble.

Le temps consacré au repas étant épuisé, nous nous mettons à la corde pendant que Burgener prend une contenance affairée. Il garde naturellement la tête ; je suis ; viennent alors Andenmatten, puis mon mari, dernier. Pendant quelque temps, les rochers sont assez bons, mais plus haut ils deviennent plus abrupts et très brisés. Notre guide-chef prend le plus grand soin de ne pas détacher des pierres, et me lance de terribles avertissements d’avoir à être aussi soigneuse. « Vous tueriez votre homme, et vous n’aimeriez pas ça. Je ne « tuai pas mon homme », mais ce fut là néanmoins que notre premier accident arriva.

Nous avions atteint une sorte de plate-forme séparée des pentes supérieures par une muraille de rochers à pic. À un endroit pourtant, là où le bout d’une dalle surplombante s’était délité et affaissé, il paraissait tout juste possible de franchir cet obstacle. Burgener se met vite au travail, mais les éclats de roc sont tellement instables qu’il ne peut trouver aucune bonne saillie ; ses progrès doivent être faits sur des prises aussi peu sûres pour le pied que pour la main. Pourtant, il avance sans s’arrêter, et, à la fin, il arrive juste à poser la main sur le sommet du rocher et à saisir une grosse pierre qui semble solide. Solide elle l’était jusqu’à un certain point. Assez solide pour ne pas nous rouler sur la tête, mais, hélas ! pas assez solide pour ne pas glisser sur la main de Burgener. Un grognement étouffé, un jet de sang le long du rocher, suivi d’un long et énergique juron de patois, fut toute l’explication qui nous fut accordée, jusqu’à ce que Burgener, dans un dernier effort, eût escaladé le sommet de la muraille. Nous suivons rapidement, et, trouvant une place convenable,