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AVEC GUIDES

gigantesques murailles glacées, sera pour le badaud et ses congénères une jouissance sans pareille. Lorsque les gens de cet acabit lisent un récit des pionniers de la montagne, sur leurs bivouacs, sur leurs nuits passées dans les chalets, sur leurs pieds gelés, et même sur la destruction d’une caravane entière par suite d’une simple glissade, il leur semble, alors qu’ils sont assis dans de confortables wagons, être enveloppés dans une atmosphère de danger et de souffrance, qui les fait se sentir de vaillants lutteurs.

Peut-être est-ce nous autres de la vieille école, qui devrions changer d’idéal. On nous affirme que dans quelques centaines d’années l’anglais sera une mixture d’argot de Cockney[1] et de mauvais américain ; pourquoi donc ne pas admettre, dans le cycle des évolutions, un nouveau credo de l’alpinisme. Abandonnez la vieille passion des nuits froides en plein air, des repas bizarres dus à l’hospitalité du curé, les folles escalades sur des glaciers peu connus et les traversées d’arêtes colossales encore vierges ; au lieu de cela fréquentez les hôtels et les églises de Zermatt et de Grindelwald, et, dans les courts intervalles laissés libres par les occupations appropriées à ces deux genres de bâtisses, courez à la Jungfrau en ascenseur à vapeur ou escaladez le Cervin en crémaillère.

Mais ces pensées sont par trop horribles. Que la tourmente vienne chasser de nos narines le relent des huiles de machine, que le tonnerre de l’avalanche et le hurlement dela tempête éteignent le son pitoyable des cloches de fonte et le tintamarre des orchestres allemands bon marché. Gardons même l’espoir que les grandes Alpes résisteront aux terrassiers et aux ingénieurs, du moins

  1. Nom donné il la populace de Londres. — M. P.