Page:Mummery - Mes escalades dans les Alpes.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
UN PIC INACCESSIBLE

les diverses demi-bouteilles de Champagne pour lesquelles il avait eu des craintes ?

Nous nous jetons maintenant hardiment sur la face des Nantillons, où une immense tranche de rocher s’est séparée de trente à quarante centimètres de la masse de la montagne offrant une lame aiguë comme un couteau, capable de vous mettre en pièces les doigts, les culottes et même l’épiderme en dessous, mais apportant par contre des prises fermes et sûres. Ce rocher nous conduit à une plate-forme spacieuse, d’où une escalade de quelques 6 mètres nous porte sur la pointe aiguë du sommet Nord. Burgener faisant abnégation de soi-même s’offre à descendre pour me rapporter une pierre avec laquelle je puisse briser la pointe extrême du pic ; mais l’agréable illusion que je m’étais faite d’occuper le confortable siège ainsi créé fut vite dissipée. Une quantité de morceaux de roc me fut hissée par Venetz et je commençai la construction d’un homme de pierre[1], je devrais peut-être, eu égard à son âge et à sa grandeur, dire un bébé de pierre. Un large mouchoir rouge sortit d’une poche, et le bébé fut décoré et drapé de ces atours de fête. Ces devoirs accomplis, nous regagnons, partie en escalade, partie en glissade, la grande plate-forme, et là nous nous adonnons à la joie de sentir que notre travail est fini, que notre sommet est vaincu et qu’il nous est permis de goûter aux jouissances d’un chaud soleil et d’une vue magnifique.

Cette nuit-là mes rêves furent troublés par les visions d’une grande tour carrée — la grande tour carrée qui de l’autre côté de l’arête sommitale, élevait ses épaules plus haut que les neiges du Col du Géant — et je sentais

  1. Dans la vallée de Chamonix, les cairns employés comme repères, signaux, etc., sont toujours appelés des « hommes de pierre ». — M. P.