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LE GRÉPON

difficultés, il était possible de se promener bras dessus bras dessous le long d’une partie de la montagne que nous nous étions attendus à trouver aussi terrible que tout ce que nous avions déjà pu rencontrer. Nous atteignons le dernier ressaut, nous rejoignons Venetz et nous procédons à l’examen de la tour finale.

C’était certainement le plus formidable rocher sur lequel j’avais jamais porté les yeux. Contrairement au reste du pic, il était lisse au toucher ; et ses arêtes coupantes n’offraient de saillies et de prises d’aucunes sortes. Il est vrai que le bloc était fracturé du sommet à la base, mais la fissure, large de dix à douze centimètres, avait des arêtes aussi droites que si elles eussent été l’œuvre d’un maçon, et elle ne possédait pas une de ces irrégularités ou de ces recoins commodes que pareilles fissures présentent souvent. Il y manquait même cet ourlet de pierres folles, à moitié prêtes à partir, fixées avec une sécurité douteuse entre les parois opposées. Ajoutez à tout cela, sur le sommet, un énorme rocher surplombant qui demanderait évidemment un gros effort, précisément au moment où le grimpeur serait à bout de forces.

Dans ces circonstances, Burgener et moi essayons de jeter une corde par-dessus le sommet, pendant que Venetz se repose, en une attitude gracieuse, dans les joies apaisantes d’une pipe. Après maints efforts, au cours desquels Burgener et moi faillîmes plusieurs fois nous précipiter sur la Mer de Glace, mais pendant lesquels du reste nous ne réussîmes pas à lancer la corde, nous prîmes courage et nous décidâmes que le rocher devait être escaladé en nous en tenant aux moyens honorables d’un duel loyal. Pour ce faire nous éveillons Venetz avec un piolet (il était dans les délices d’une calme sieste), nous faisons le branle-bas de combat et nous nous apprêtons pour la dernière lutte,