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LE GRÉPON

du Hörnli ; mais si, au contraire, il va par l’Arête de Zmutt, ils allégueront que ce sont seulement les difficultés de l’escalade qui l’attirent. Hé bien ! ce raisonnement est complètement faux. Parmi les visions de montagne dont la beauté reste dans mon esprit, aucune n’est plus belle que celle de la stupéfiante falaise et des rocs fantastiques de l’Arête de Zmutt. Dire que cette route, avec son décor toujours splendide, est au point de vue esthétique une route condamnable et dire que la vraie route est celle du Hörnli qui, en dépit de son noble panorama, est gâtée par de pitoyables éboulis et des pentes maculées de papiers, c’est faire preuve d’une incompréhension complète des vrais sentiments de la montagne.

Un soupçon traverse quelquefois mon esprit, c’est que ces soi-disants montagnards confondent les plaisirs, qui peuvent dériver de la photographie ou de la géologie et autres recherches, avec les joies purement esthétiques d’un noble paysage. Sans doute, le sommet d’une montagne est particulièrement bien adapté pour ce genre de travaux à demi scientifiques ; si donc le sommet est le seul point désiré, le chemin le plus facile est certainement la vraie route ; mais, à un point de vue purement esthétique, le Col du Lion, la Dent de l’Arête de Zmutt, ou le Corridor de Carrel, tout en apportant des panoramas aussi beaux, donnent en même temps la puissance dramatique des splendides premiers plans de cette arête dentelée, de ce précipice épouvantable, et de cette hauteur à demi voilée planant sur l’immensité. L’importance du premier plan ne saurait être trop vantée, et il est certain que plus une ascension est difficile plus hardi et réaliste sera ordinairement l’entourage immédiat du touriste. En d’autres mots, la valeur esthétique d’une ascension varie en raison directe de sa diffi-