Page:Mummery - Mes escalades dans les Alpes.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
LA DENT DU REQUIN

nente, aurait présenté de graves dangers, il nous jeta hardiment à droite, et démêla une série compliquée d’obstacles aussi facilement qu’un simple mortel aurait pu le faire en plein jour. À la fin pourtant il se buta à une falaise perpendiculaire qui semblait marquer la fin du monde et surplombait l’espace. Il y a quelque chose d’étrangement impressionnant à regarder ainsi par dessus un grand mur de glace dans une obscurité noir-d’encre, au milieu d’un silence absolu. Le sentiment d’une profondeur sans fin et du mystère de l’au delà semble envahir l’être entier. La lumière de notre lanterne ne parvenait en aucune façon à percer les ténèbres ; nous étions abattus et nous préparions déjà nos esprits à l’obligation de passer une nuit sur la neige, quand une déchirure des nuages laissa tomber un rayon de lune sur le glacier ; l’existence de la terre ferme, je veux dire du glacier, nous fut alors révélée à quelques 5 mètres plus bas, accessible par une sorte d’isthme de glace. La lune nous ayant joué ce bon tour s’éteignit méchamment, et laissa à Slingsby l’agréable tâche d’entailler une face de névé presque perpendiculaire, avec une crevasse très profonde en dessous, et cela avec l’aide seule de la lumière que peut émettre une lanterne pliante. Notre guide chef parut prendre tout à fait plaisir à ce travail, le bruit de la taille devint de plus en plus éloigné, et l’un après l’autre mes compagnons disparurent dans l’ombre par dessus la crête. À la fin, vint pour moi le pénible devoir de suivre. Des voix encourageantes, montant de la nuit noire, me disaient que c’était très facile, mais sur ce point je déclare hautement que je ne fus pas d’accord. Les marches, larges comme une écoutille, que j’étais assuré de trouver à profusion, m’apparurent comme de simples égratignures dans la croûte d’une neige folle, et les prises pour les mains