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DE L’ALPINISME

les horribles précipices de la Brenva et de Peuteret[1]. Mais même si l’on admet que l’habileté du grimpeur ne s’est pas accrue en proportion des difficultés avec lesquelles il se mesure, on sera obligé de reconnaître que l’alpinisme n’est ni plus ni moins dangereux qu’avant.

Il est vrai que d’extraordinaires progrès ont été faits dans l’art de grimper le rocher et que, par conséquent, n’importe quelle escalade de roc est beaucoup plus facile maintenant qu’il y a trente ans ; mais l’essence même du sport alpin est, non pas dans l’ascension d’un pic, mais bien dans la lutte pour surmonter les difficultés. Le grimpeur heureux est, comme le vieil Ulysse, celui qui a « goûté aux délices de la lutte avec ses pairs », et cette joie-là le montagnard ne peut l’atteindre qu’en s’attaquant à des murailles qui élèveront ses moyens à leur plus haute limite. La lutte comporte les mêmes risques, et pour le grimpeur ancien qui attaquait ce que nous appelons maintenant des rochers faciles, et pour nous autres modernes qui nous mesurons à de formidables rocs, et pour le grimpeur futur, être encore idéal, qui donnera l’assaut à des murailles que nous regardons aujourd’hui comme sans espoir d’être jamais accessibles. La différence qui existe entre mes idées et celles des autorités dont je parlais plus haut est due, principalement sans doute, à un point de vue tout à fait différent sur la raison d’être de l’alpinisme. Si on le considère comme un sport, un danger y sera, et devra y être toujours attaché ; si on le considère comme un exercice au milieu de beaux paysages en vue de quelque but quasi-scientifique, ou encore comme matière première pour un article intéressant ou pour quelque vantardise,

  1. Cette rude et admirable expédition, de Courmayeur à Saint-Gervais, prit 5 jours, du 15 au 20 août 1892. On en trouvera la description dans le livre de M. Paul Güssfeldt, Le Mont Blanc, in-8 de XVIII-344 p., Genève 1899, p. 271-91, traduction de l’édition allemande de Berlin 1894. — M. P.