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DE L’ALPINISME

tagne. Le travail dont sont capables les moins compétents se trouve abondamment réparti dans toute vallée alpine, la plupart du temps au milieu des plus beaux paysages de glace et de neige. L’art de l’alpinisme consiste à vous rendre capable de grimper facilement et en sécurité, à élever votre talent à la hauteur des pointes qui vous dominent et vous environnent, et cet art peut jusqu’à un certain point être agréablement pratiqué de façon compatible avec une sécurité raisonnable et aussi avec le respect de votre personne ; tout homme peut en jouir n’importe quelle soit la faiblesse de ses aptitudes naturelles ou de son entraînement. Il est seulement nécessaire qu’il sache reconnaître les limites qui lui sont ainsi imposées.

On n’est passé maître dans un sport que lorsqu’une aptitude naturelle vient se combiner avec de longues années de pratique, et cela non sans un peu, parfois beaucoup, de danger, d’accidents partiels et même vitaux. Fort heureusement, le bon grimpeur acquiert d’ordinaire cette habileté à un âge où les responsabilités de la vie n’ont pas encore mis leur griffe sur lui, et où il peut avoir quelque latitude pour les affaires de cette sorte. D’autre part il y gagne la connaissance de soi-même, l’amour pour tout ce qu’il y a de plus beau dans la nature, et un débouché comme n’en apporte aucun autre sport pour les énergies inquiètes de la jeunesse ; gains pour lesquels on ne saurait demander un trop grand prix. Les grandes escalades, il est vrai, demandent parfois leur sacrifice, mais le vrai montagnard ne renoncera pas à sa passion même s’il sait qu’il est la victime désignée. Heureusement pour la plupart de nous les grandes dalles brunes suspendues par delà l’espace incommensurable, les lignes et les courbes des corniches moulées par le vent, les délicates ondulations de la neige sur les fissures de la glace, sont