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MES ESCALADES

DANS LES ALPES ET LE CAUCASE


CHAPITRE PREMIER


LE CERVIN — L’ARÊTE DE ZMUTT


Alors que j’avais quinze ans les falaises de la Via Mala et les neiges du Théodule firent surgir en moi une passion qui n’a fait que croître avec les années et n’a pas peu contribué à influencer ma vie et ma pensée. Elle m’a conduit dans des régions d’une si féerique beauté que, près d’elles, les merveilles fabuleuses de Zanadu semblent de très ordinaires paysages ; elle m’a apporté des amis, sûrs aux bons comme aux mauvais jours ; et elle a enrichi mon esprit de souvenirs qui sont trésors indestructibles par les vers comme par la rouille, par la maladie comme par l’âge. Mes joies enfance au milieu des grandes blancheurs des pics planant sur l’ombre des sapins sont encore actuellement évoquées en moi quand la lourde diligence roule à travers les Gorges de la Diosaz ou lorsque le Cervin se dresse au fond de l’ombreux Val Tournanche. Je me rappelle, comme si c’était d’hier, ma première vue de la grande montagne. Elle profilait son ombre dans la calme majesté d’une lune de septembre, et, dans le repos de cette nuit d’automne, elle semblait, l’incarnation réelle du Mystère, l’idéal séjour des esprits dont les vieilles légendes peuplent ses abruptes pentes