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L’ARÊrTE DE ZMUTT

l’Eiger ; cela m’ennuyait horriblement, mais il me fallait finir l’Oberland : car je n’y retournerai jamais. »

Pour moi je suis obligé de confesser ma déplorable faiblesse de caractère. Je n’ai pas plutôt escaladé un pic que ce pic devient un ami, et quelque délicieux qu’il soit de chercher la nouveauté « d’autres bois et d’autres pâturages », je soupire au plus intime de mon cœur pour ces pentes dont je connais chaque repli et dont chaque muraille me rappelle un moment de gaîté et de rire ou me fait souvenir des amis d’antan. Une conséquence de cette terrible faiblesse de caractère est que je ne suis pas allé moins de sept fois sur le sommet du Cervin. Je m’y suis trouvé en compagnie de ma femme par un temps tel qu’une allumette éclairée ne vacillait même pas dans un air entièrement calme ; une autre fois je fus chassé de sa crête brisée, poursuivi sur le côté italien par la furie de la foudre, des éclairs et des tourbillons de neige. Pourtant chacun de ces souvenirs a son charme particulier et la sauvage musique de l’ouragan ne m’apporte pas une joie moindre que les gloires d’un jour parfait. L’idée qui s’insinue chez un montagnard orthodoxe, qu’une seule ascension, certain jour, certaine année, le rend capable de comprendre et de savoir ce que sera ce pic les autres jours, les autres années, me ferait croire qu’il n’est pas loin d’être encore un Philistin. Il est certain que murailles et rochers sont toujours identiques, mais leur charme et leur beauté sont dans leurs lumières et leurs ombres toujours changeantes, dans les brumes qui les enguirlandent, dans leurs énormes corniches et dans leurs glaçons suspendus, dans toutes leurs variations de temps, de saison et d’heure. D’ailleurs, il n’y a pas que la vision réelle, celle qui est imprimée sur la rétine, qui reflète chaque modalité et chaque