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LE CERVIN

en son pouvoir, nous déclara froidement qu’il était tout à fait impossible d’arriver à Martigny pour le train de midi ; du reste, ni ses chevaux ni d’autres n’en seraient capables. Nous n’étions pas gens a nous laisser ainsi leurrer. Saisissant nos piolets et nos sacs, nous laissons sur la route notre cocher désolé, et nous voici arpentant courageusement le sentier du Col de Balme. Le cocher, qui voyait la pile d’écus du tarif de Martigny se changer en une pauvre pièce de dix francs, protesta avec toute la vigueur d’un Chamoniard.

Nous fûmes soutenus, durant l’ascension du col, par l’espoir de nous procurer une voiture à l’auberge de la Forclaz. Mais, lorsque nous y arrivons, nous nous apercevons que la chance nous a abandonnés et nous devons affronter les horreurs poudreuses de la route de Martigny. À moitié étouffés par la poussière et plus qu’à moitié cuits par un implacable soleil, nous atteignons la station avec juste vingt minutes à dépenser. Burgener se rend vite compte des nécessités de la situation, il m’emprunte un franc et se précipite dans la ville, et, avant que nous ayons pu nous douter de l’objet de ses recherches, il revient avec un pot de grès plein de bière mousseuse. Les gaîtés de John Barleycorn[1] que nous trouvâmes au fond de nos verres eurent vite effacé nos misères, et avant que le train ne fût arrivé, la joie était venue de nouveau faire partie de la caravane.

Nous arrivons à Stalden à quatre heures du soir environ et nous y arrêtons pour passer la nuit, ce qui permet a Burgener et à Venetz d’aller se mettre en règle avec l’Église, chose qui leur sembla désirable devant les for-

  1. John Barleycorn (barley, orge ; corn, grain) est le héros d’une vieille chanson, apologiste de la bière, qui en décrit la fabrication depuis la récolte du grain jusqu’à la mise au tonneau.