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L’HISTOIRE PAR LE THÉATRE.

dont il ne restait plus que les ruines, vinrent aussi se montrer au public parisien. Le premier avait pour triomphe le rôle de Virginius, le second celui de Richard III. Un jour qu’il devait le jouer et que la présence de la duchesse de Berry était annoncée, l’heure de commencer le spectacle était arrivée ; la princesse, toujours ponctuelle, occupait sa loge, et Kean n’était pas encore là. Présumant qu’il pouvait bien être au café Anglais, à côté du théâtre, on va pour l’y chercher. En effet, on l’y trouve, bouteilles et verre devant lui, et fort échauffé, ce qui, dans ses habitudes, n’avait rien d’exceptionnel. L’employé de l’administration le presse de se rendre immédiatement où son devoir l’appelle ; il invoque le public et la princesse qui attendent ; mais Kean, qui avait le vin brutal, ne tient aucun compte de l’ambassade ni de l’ambassadeur. Message sur message se succèdent auprès de lui, toujours plus instants. Enfin, à grand’peine, on l’arrache à ses flacons. Il s’habille, il entre en scène à moitié ivre ; mais une fois là, devant la rampe et les spectateurs, l’inspiration lui vient, une sorte d’électricité le saisit, et il retrouve toute la puissance de ce talent qui souffrit, malheureusement, d’une vie trop fougueuse et trop irrégulière. Le désordre n’ajoute rien au génie, bien plutôt il lui est nuisible, n’en déplaise au second titre de la pièce jouée depuis par Frederick-Lemaître, et dont Kean était le héros.

Cependant, cette grande vogue des acteurs anglais ne fut pas longue. Dès la seconde année, on la vit diminuer sans aucune réaction déterminée, mais d’elle-même, peu à peu. De la salle Favart, ces acteurs retournèrent à l’Odéon, où le beau monde ne les suivit