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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

Tout à coup un bruit de pas se fit entendre dans le corridor, et la porte de la chambre s’ouvrit, donnant entrée à un personnage qui, sans mot dire, alla droit à l’un des poêles servant de secrétaire, ouvrit la porte du four et en tira un rouleau de papiers qu’il considéra avec attention.

— Comment, s’écria le nouveau venu avec un fort accent piémontais, tu n’as pas achevé encore le chapitre des Ventouses ?

— Permettez, mon oncle, répondit le Turc, le chapitre des Ventouses est un des plus intéressants de votre ouvrage, et demande à être étudié avec soin. Je l’étudie.

— Mais, malheureux, tu me dis toujours la même chose. Et mon chapitre des Calorifères, où en est-il ?

— Le calorifère va bien. Mais, à propos, mon oncle, si vous pouviez me donner un peu de bois, cela ne me ferait pas de peine. C’est une petite Sibérie ici. J’ai tellement froid, que je ferais tomber le thermomètre au-dessous de zéro, rien qu’en le regardant.

— Comment, tu as déjà consumé un fagot ?

— Permettez, mon oncle, il y a fagots et fagots, et le vôtre était bien petit.

— Je t’enverrai une bûche économique. Ça garde la chaleur.

— C’est précisément pourquoi ça n’en donne pas.

— Eh bien ! dit le Piémontais en se retirant, je te ferai monter un petit cotret. Mais je veux mon chapitre des Calorifères pour demain.

— Quand j’aurai du feu, ça m’inspirera, dit le Turc, qu’on venait de renfermer à double tour.

Si nous faisions une tragédie, ce serait ici le moment de faire apparaître le confident. Il s’appellerait Noureddin ou Osman, et d’un air à la fois discret et protecteur il s’avancerait auprès de notre héros, et lui tirerait adroitement les vers du nez à l’aide de ceux-ci :


Quel funeste chagrin vous occupe, seigneur,
À votre auguste front, pourquoi cette pâleur ?
Allah se montre-t-il à vos desseins contraire ?
Ou le farouche Ali, par un ordre sévère,
A-t-il sur d’autres bords, en apprenant vos vœux,
Éloigné la beauté qui sut charmer vos yeux ?