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Page:Murger - Scènes de la vie de bohème, Lévy, 1871.djvu/79

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ALI-RODOLPHE, OU LE TURC PAR NÉCESSITÉ.

plus à portée, s’était assise dans un fauteuil échafaudé sur sa commode. Mademoiselle Sidonie déclara le Vengeur un chef-d’œuvre ; et, comme elle était un peu maîtresse au théâtre, elle promit à Rodolphe de lui faire recevoir sa pièce.

Au moment le plus tendre de l’entretien, l’oncle Monetti fit entendre dans le corridor son pas léger comme celui du Commandeur. Rodolphe n’eut que le temps de fermer le judas.

— Tiens, dit Monetti à son neveu, voici une lettre qui court après toi depuis un mois.

— Voyons, dit Rodolphe. Ah ! mon oncle, s’écria-t-il, mon oncle, je suis riche ! Cette lettre m’annonce que j’ai remporté un prix de trois cents francs à une académie de Jeux floraux. Vite ma redingote et mes affaires, que j’aille cueillir mes lauriers ! on m’attend au Capitole.

— Et mon chapitre des Ventouses ? dit Monetti froidement.

— Eh ! Mon oncle, il s’agit bien de cela ! Rendez-moi mes affaires. Je ne peux pas sortir dans cet équipage…

— Tu ne sortiras que lorsque mon Manuel sera terminé, dit l’oncle, en enfermant Rodolphe à double tour.

Resté seul, Rodolphe ne balança point longtemps sur le parti qu’il avait à prendre… Il attacha solidement à son balcon une couverture transformée en corde à nœuds ; et, malgré le péril de la tentative, il descendit, à l’aide de cette échelle improvisée, sur la terrasse de mademoiselle Sidonie.

— Qui est là ? s’écria celle-ci en entendant Rodolphe frapper à ses carreaux.

— Silence, répondit-il, ouvrez…

— Que voulez-vous ? Qui êtes-vous ?

— Pouvez-vous le demander ? Je suis l’auteur du Vengeur, et je viens rechercher mon cœur que j’ai laissé tomber dans votre chambre par le judas.

— Malheureux jeune homme, dit l’actrice, vous auriez pu vous tuer !

— Écoutez, Sidonie… continua Rodolphe en montrant la lettre qu’il venait de recevoir. Vous le voyez, la fortune et la gloire me sourient… Que l’amour fasse comme elles ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le lendemain matin, à l’aide d’un déguisement masculin que lui avait fourni Sidonie, Rodolphe pouvait s’échapper de la maison de son oncle… Il courut chez le correspondant de