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Page:Musée des Familles, vol.32.djvu/27

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musée des familles.


ment engagées dans le ruisseau débordé, les vaches sont emportées par le courant et disparaissent. Le vieux paysan pousse des cris lamentables, implore le ciel, et comme ses animaux ne reviennent pas, il est sur le point de s’abandonner aussi aux flots qui les lui ont ravies. Sur ces entrefaites, un homme couvert de vêlements de bure sort de la forêt ; il marche avec assurance sur les étroits sentiers épargnés par les eaux, et pourtant ses yënx sont tournés vers le ciel ; il va droit au paysan éploré, lui pose le doigt sur le front, lui annonce qu’il n’a rien perdu. Ayant ainsi parlé, l’homme de la forêt tombe à genoux, se met en prières, et, lorsqu’il se relève, le mugissement de deux vaches se fait entendre du côté du bois ; ce mugissement, le paysan le reconnaît aussitôt, c’est la voix de ses deux patientes et laborieuses compagnes ; il se précipite sur les pas du saint, qui a voulu le premier joindre les vaches et les rendre à leur maître. On juge de l’admiration qu’excita celte histoire dans les environs de la Forte*

A partir de ce jour, Vulgis ne parvint plus a se soustraire à la vue des hommes ; sa retraite devint un lieu de pèlerinage ; vieillards et enfants ne s’approchaient jamais de lui sans se signer ; les femmes s’agenouillaient à son approche et lui demandaient de protéger leur maison ; les hommes mûrs l’imploraient pour que la récolte fût abondante ; les garçons pour être heureux en ménage, et les fillettes, en rougissant, venaient le prier d’intercéder auprès du ciel pour qu’elles eussent de bons maris, Vulgis mourut fort âgé ; il était, dit une chronique, maigre comme le tronc du saule, mais sa tête semblait de jour en jour s’éclairer de plus en plus des rayons célestes.

On Ta vénéré pendant bien des années et on ne Ta pas complètement oublié dans le canton.

Il est encore quelques vieillards qui, tout en égrenant leur chapelet, prononcent son nom avec une sainte extase.

IV

Je ne veux pas vous conduire, étape par étape, à travers la chronique de la Ferté-Milon ; ne croyez pas qu’elle soit dépourvue d’intérêt ? Elle captive, au contraire, très-fréquemment ; dans ses moindres détails, l’histoire n’estello pas, en effet, saisissante et presque délectable ? Un écrivain humoriste n’a-t-il pas eu raison de dire que, lorsqu’on a goûté une fois à ce vin fort et amer, on se sent tourmenté d’un impérieux désir d’en boire jusqu’à sa mort.

Si je ne vous parle pas des nombreux seigneurs qui se succédèrent dans ce manoir aujourd’hui silencieux, c’est qu’il me faudrait vous les présenter tous et que la présentation serait infiniment trop longue. Je ferme donc a double tour celte galerie qui renferme tant de portraits curieux, tant de gentilshommes héroïques, tant de physionomies caractéristiques.

Contentez-vous, chers lecteurs, de savoir que ce château cessa pour ainsi dire d’exister sous le bon roi Henri IV, qui lui fit subir les derniers outrages. — Comme, ce brave chevalier qui, malgré ses blessures mortelles, frappe toujours à coups redoublés l’ennemi de sa dague terrible (style antique), le caslel de la Ferté se défendit admirablement.

Le duc de Biron, envoyé par le roi, fut même sur le point d’être repoussé. Aussi ne manqua-t-on pas d’accuser ses coupables lenteurs.

Lorsqu’il fut décapité en 4602, on lui reprochait encore son inaction dans une chanson dont le refrain était celui-ci :

Biron, Biron, gratte bien ton menton, Tu ne verras plus la terté-Milon.

On rapporte en effet qu’à l’instant où le bourreau allait lui trancher la tète, Biron, ne pouvant se résoudre à la mort, portait tristement la main à son menton. Il eut même les doigts coupés par la hache. Par ordre de Henri IV, qui vint reconnaître la place, le château fut démantelé : le sort voulut qu’un capitaine nommé La Ruine fût chargé d’en diriger la démolition, Richard CORTAMBERT.

ÉTUDES MORALES.
L’USURIER DES ARCIS (i).

I. — UNE CONVERSATION SDR LA GRAND’ROUTE. C’était il y a quinze ans environ, alors que les chemins de fer ne pénétraient pas encore au centre de la France. Par une belle matinée du mois d’avril, la diligence qui faisait le service journalier entre Langres et Chanmont s’était arrêtée au bas de la côte de Verrières, sous prétexte de laisser aux voyageurs le plaisir de se dégourdir les jambes ; mais plutôt, j’imagine, pour donner aux chevaux, fatigués d’une étape déjà longue, l’occasion de se reposer un peu.

Deux voyageurs seulement profitèrent de la permission et commencèrent à gravir la côte, tandis que la voiture, allégée, les suivait à distance. L’un était un homme de soixante-cinq à soixante-dix ans, à la physionomie douce, mais un peu triste, avec un (1) Reproduction et traduction formellement interdites, sauf autorisation spéciale de l’auteur et des éditeurs. commencement d’embonpoint qui ne lui messeyait pas, au contraire. Il portait un costume moitié laïque, moitié religieux, fort simple, mais aussi propre qu’il était simple. C’était M. l’abbé Muller, curé de la petite commune des Arcis.

L’autre, un jeune homme, trente ans au plus, à l’air franc et décidé, était vêtu d’une redingote noire serrée à la taille et d’un pantalon un peu large qui ressemblait fort à un pantalon d’uniforme ; sa casquette, du reste, ne ressemblait pas moins à un képi. Enfin, tout en lui, manières, langage et costume, trahissait le soldat, quand bien même certaine blessure, qui avait laissé sur sa joue gauche une cicatrice à peine fermée, et certain ruban rouge brillant à sa boutonnière, eussent pu laisser le moindre doute à cet égard.

Nous allons, du reste, savoir bientôt à qui nous avons affaire.

Ils causaient tout en marchant.

— J’avoue, disait le vieillard, que si vous ne m’aviez