mieux ! J’ai cru… je ne savais pas ce qui était arrivé… j’ai craint que quelqu’un chez vous fût malade. C’est pourquoi j’étais descendue, ajouta-t-elle, s’apercevant sans doute en ce moment qu’elle n’aurait pas dû descendre et qu’elle y avait mis trop d’empressement.
Roger, craignant de la voir partir, se hâta de la retenir en disant n’importe quoi.
— Vous n’êtes pas couchée, Régine, à cette heure ?
— Oh !… j’avais différentes choses à mettre en ordre, et puis je n’avais pas sommeil… Eh bien ! et vous, Roger ?
— Oh ! moi, c’est tout différent… je me promenais…
La jeune fille ne put s’empêcher de rire d’une si sotte réponse.
— Ainsi vous passez les nuits à vous promener ?
— Je suis charmé de vous voir si joyeuse, car je vous croyais bien triste. Vous avez tant pleuré ce soir !
Elle baissa la tête et il crut la voir rougir.
— Oh ! c’est vrai ; vous avez dû me trouver bien sotte ? Je ne sais pas ce que j’ai depuis quelque temps, je pleure d’un rien ; je voudrais m’en empêcher et je ne puis pas…
— C’est, reprit-il amèrement, que vous aimez tant le chevalier !
— Sans doute, — et l’intonation de Régine marquait de la surprise, car Roger avait dit cela d’un accent terrible, — sans doute je l’aime bien ; mais ce n’est pas pour cela, et je serais capable de pleurer aussi bien pour autre chose. Non, c’est stupide, aussi je ne veux plus sortir de ma chambre, parce que…
Elle baissa la tête, sa voix s’altéra, et elle balbutia :
— Je dois vous paraître si ridicule !
— Vous ! s’écria Roger, vous ? Ô Régine !
Et ne pouvant trouver de paroles pour repousser assez fortement une accusation si insensée, il saisit la main de Régine Elle allait parler ; la parole mourut sur ses lèvres. Ils restèrent ainsi un instant ; puis la jeune fille retira sa main, que Roger n’osa retenir, et le silence continua. Peut-être était-ce le moment de se dire bonsoir ; mais le clair de lune pouvait bien ne pas exister pour eux, non plus que la nuit, non plus que l’heure, et Régine reprit, comme s’ils étaient dans un salon, en plein jour.
— Eh bien ! quand j’y pense, j’ai toujours envie de pleurer encore, parce que… Oui, certainement, j’ai souffert aussi pour notre ami ; j’ai craint qu’il ne fût contraint à cette vente par de grands embarras et qu’il n’en eût beaucoup de chagrin. Mais aussi notre pauvre parc !… Il me semblait, Roger, qu’il était à nous ; car nous y avons tant couru, tant joué ensemble ! Nous avons laissé là de si bonnes heures, tant de souvenirs ! Que de fois depuis j’y suis retourné seule pour les retrouver ! Cela est si bon l’enfance et si beau ! C’est le temps de ma vie qui m’a semblé le plus doux. Et dire que ce cher parc est vendu à un vilain homme, que je déteste sans pouvoir m’en empêcher, et que nous n’irons plus, moi du moins ; qu’on fera peut-être couper les arbres, nos arbres, qu’on en chassera tous nos souvenirs, toutes ces images !… Vous étiez là encore petit garçon, Roger ; Lucette y est encore un bébé… C’était comme si je vous voyais là, dans tous les coins, derrière tous les arbres ; une sorte de mythologie à moi. Ah ! nous étions si heureux alors !
Elle eut beau faire, une larme se reprit à couler, puis une autre, aux rayons de la lune qui les pénétrait de sa lumière. Elle tourna la tête et voulut sourire, mais elle pâlit sous le regard ardent de Roger.
— Régine ! oui, c’est vrai, car alors nous étions toujours ensemble ! Aujourd’hui toujours éloignés ! Mais… peut-être ne sera-ce pas toujours ainsi…
— Il y a surtout cette clairière, près des noisetiers… parce que… vous vous rappelez bien, Roger ?… le jour où ce chien si laid, si bourru, tout écumant, est venu à notre rencontre. Nous l’avons pris pour un chien enragé, comme il en avait bien l’air. Émilie s’est élancée derrière un arbre, la petite criait ; moi, j’étais glacée d’horreur !… Vous n’aviez qu’un petit bâton à la main, et vous vous êtes jeté au devant de nous !… Depuis ce temps-là !…
Elle ne put achever ; à demi-suffoquée, sa tête se pencha et rencontra celle de Roger, qui transporté, — car, à l’accent, à l’émotion, de ces virginales confidences, il se sentait aimé, — la serra dans ses bras.
— Ô ! Régine ! Régine ! avec quel bonheur encore je donnerais ma vie pour vous !… Ma vie, qui est toute à vous, Régine !
Dès qu’elle en eut la force, elle se dégagea.
— Oh ! Roger… nous sommes fous… Nous ne devons pas nous… nous embrasser ainsi… Non ! Partez ! parce que…
— Pourquoi ?… dit-il suppliant.
— Vos parents, reprit-elle…
Mais elle s’arrêta, confuse. Elle voulait dire sans doute que les parents de Roger n’approuveraient pas leur amour ; mais ce mot, Roger ne l’avait pas encore prononcé pouvait-elle le dire la première ? Oh ! non ! Ses joues s’empourprèrent, et ce fut tout. Si elle se trompait ! Si l’amitié seule dictait à Roger… Certainement elle n’en croyait rien ; mais toute sa naïveté, toutes ses pudeurs, toutes ses ignorances en émoi, refusaient de nommer le grand nom, le nom magique du sentiment dont ils brûlaient tous les deux, elle dit seulement d’un faible accent :
— Il est tard.
— Non, dit Roger, non, il n’est pas tard. Laissez-moi vous parler encore. J’ai tant de bonheur ! Il y a si longtemps que nous n’avons parlé ainsi… tous les deux !
Et voyant bien à ses regards indécis, à son trouble, à son inquiétude même, qu’elle n’avait pas le courage de le refuser, il s’assit tout près d’elle, sur l’appui de la fenêtre, et ils se mirent à causer doucement, tout bas et à demi-mots, s’entendant si bien. Sachant bien qu’ils s’aimaient, ivres de bonheur, ils recueillaient avec dé lices tout ce qui tombait d’amour de leurs yeux, de leurs lèvres, tout ce qui en frémissait dans leur accent et en émanait de tout leur être ; mais le nommer, ils n’osaient, Roger pas plus qu’elle. Dans un coin du jardin, le rossignol aussi chantait sa nuit d’amour, les parfums d’avril s’exhalaient magnétiquement vers eux. La lune les enveloppait de sa lumière bénigne. Ils causaient, ils se taisaient. Au milieu d’un silence, le timbre de l’horloge frappa un coup vibrant, dont la jeune fille tressaillit.
— Cher Roger, dit-elle, déjà une heure du matin ! Partez bien vite !
— C’est impossible ! Il n’était que onze heures quand je suis venu ; ce n’est que onze heures et demie.
Et il se reprit à lai parler. Elle cédait avec remords, s’oubliant plus qu’à demi préoccupée, quand de nouveau le timbre clair et plein retentit trois fois.
Les deux amants sursautèrent, et pourtant Roger osait murmurer encore :
— C’est impossible !
Régine s’enfuyait. Il la retint d’une main, et, tout suppliant, mais sans parler, il prit le petit bouquet d’œillets rouges et de réséda qu’elle avait encore à sa ceinture, le pressa de ses lèvres et le mit sur sa poitrine ; puis il murmura :
— Bonsoir, bonsoir, à ma Régine ! à demain.
Ils se laissaient l’un à l’autre ce ciel que les hommes n’ont sans doute rêvé hors de la terre que pour l’avoir trouvé dans les grandes ivresses du cœur, mais trop fugitif, hélas ! grâce aux entraves que l’humanité se forge à elle-même. Déjà, au fond du bonheur des deux amants, gisait la pensée de l’opposition de leurs familles. Ils ne l’écoutaient pas, ils lui imposaient silence ; ils ne voulaient pas la reconnaître ; mais elle était là, ils le savaient bien. Toutefois, dans ces premières heures, l’enivrement