Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/145

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elle pâlit, elle rougit. Jamais je ne vis rien de si beau, de si intéressant ; jamais, au théâtre, elle n’a produit sur moi tant d’effet.

La fatigue, un peu d’enrouement, le punch, l’heure avancée, une animation presque fiévreuse sur ces petites joues entourées d’un bonnet de nuit, je ne sais quel charme inouï répandu dans tout son être, ces yeux brillants qui me consultent, un sourire enfantin qui trouve moyen de se glisser au milieu de tout cela ; enfin, jusqu’à cette table en désordre, cette chandelle dont la flamme tremblote, cette mère assoupie près de nous, tout cela compose à la fois un tableau digne de Rembrandt, un chapitre de roman digne de Wilhelm Meister, et un souvenir de la vie d’artiste qui ne s’effacera jamais de ma mémoire.

Nous arrivons ainsi à minuit et demi. Le père rentre de l’Opéra, où il vient de voir mademoiselle Nathan débuter dans la Juive. À peine assis, il adresse à sa fille deux ou trois paroles des plus brutales pour lui ordonner de cesser sa lecture. Rachel ferme le livre en disant : « C’est révoltant ! j’achèterai un briquet, et je lirai seule dans mon lit. » Je la regardai : de grosses larmes roulaient dans ses yeux.

C’était une chose révoltante, en effet, que de voir traiter ainsi une pareille créature ! Je me suis levé, et je suis parti plein d’admiration, de respect et d’attendrissement.

Et, en rentrant chez moi, je m’empresse de vous